Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine
Ferdinand Buisson, Nouveau Dictionnaire de Pédagogie et d’Instruction Primaire, 1911
Trente années durant, j’ai vécu en Moselle, dans le nord-ouest du département.
Tu vois Metz ? Et bien tu remontes encore un peu. Tu ne vois pas ? Prends une carte bordel !
Je ne te demande pas de compatir, on s’en sort. On peut s’en sortir. Le Grand Est rugueux a son charme. Si si.
C’est pas tant que je tienne à te raconter ma vie, mais cette expérience me donne un regard tout particulier sur certains événements récents, la laïcité, la République.
Refaisons un peu l’histoire. Tu n’es pas sans savoir que les XIXe et XXe siècles ont été le théâtre de conflits assez violents entre la France et l’Allemagne, deux ou trois autres contrées également, une paille. Comme tu as un peu écouté à l’école, tu sais qu’il y a eu deux guerres mondiales. Te souviens-tu cependant de la guerre de 1870 ? Non ? Ce fut bref, un peu plus de six mois de guerre franco-prussienne à l’issue desquels Bismarck empoche trois départements : la Moselle, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, qui formeront alors le Reichsland Elsaß-Lothringen, avec Strasbourg pour chef-lieu.
C’est la version courte.
Dans la France de l’intérieur, en 1905, on adopte la loi de séparation des Églises et de l’État. L’Alsace-Moselle échappe à ce changement, elle est allemande. Ja ja ja.
En 1918, la défaite allemande déplace à nouveau la frontière, et les trois départements redeviennent français. On pourrait penser que, de fait, les lois de la République allaient s’appliquer dans ces contrées tout fraîchement revenues dans le giron de la mère patrie. #Cocorico
Mais non.
On conserve le concordat, qui n’a rien avoir avec les Allemands, mais date de 1801, cet accord entre Napoléon Bonaparte et le Pape Pie VII confère certains avantages aux cultes catholique, juif et protestant.
Et depuis ? Eh bien depuis : rien, peau d’balle, walou, macache.
Les conséquences ne sont pas anodines.
Tout d’abord, les religieux (des trois cultes sus-cités) sont rémunérés par l’État. L’entretien des bâtiments, églises, temples, synagogues est à la charge des collectivités locales. Mes impôts, tes impôts.
Ensuite, les enfants doivent suivre un enseignement religieux à l’école, à raison d’une heure par semaine prise sur le temps scolaire. Au primaire, chaque semaine, un missionnaire du diocèse (c’est le cas le plus fréquent et aussi celui que j’ai le plus souvent rencontré) vient une heure dans chaque classe pour apporter la bonne parole. Ceci a également un coût financier important, ces « enseignants » sont également rémunérés par l’argent du contribuable. De plus, ça représente une heure de moins pour les enfants qui doivent se farcir le même programme.
Enfin, cerise sur le gâteau, il existe toujours un délit de blasphème, théoriquement puni d’un emprisonnement de trois ans, dispositif législatif ayant permis entre autres à faire condamner en 1997 des militants d’Act Up à des amendes pour un happening dans la cathédrale de Strasbourg.
Laïcité ?
République une et indivisible ?
À côté de ça, chaque jour on stigmatise les musulmans, on parle d’ennemi de l’intérieur, on traite les Roms comme une sous-catégorie, ils n’ont pas vocation tu vois. Je lis çà et là que le licenciement pour port de voile d’une employée de crèche associative serait une victoire pour le vivre ensemble.
Je suis fatigué.
Ma République ferait bien de balayer devant sa porte.
Mots-clés : Laïcité, République