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Pendant qu'ils ne cherchaient pas d'alternative, nous pensions à un #PlanB.

Vases communicants

Publié le par dans avec 6 avis

Tout a un coût, tu as remarqué ?

On te le dit assez souvent : le travail est un coût. On te fait un sacré cadeau en t’employant, alors te payer, c’est un acte de bonté presque insensé. On en viendrait presque à culpabiliser d’accepter une rémunération. Sans parler de la rémunération indirecte, les fameuses charges sous lesquelles croulent les entreprises, les pauvres.

Oui les pauvres, parce que tu te projettes : toi aussi tu veux être riche un jour !

Alors un jour, tu décides de créer ta boîte. Tu es un entrepreneur, un véritable aventurier des temps modernes. Allez, je ne veux pas être méchant, c’est vrai que tu abandonnes toutes les sécurités offertes par l’État-providence pour sauter dans le vide. Mais bon, c’est parce que tu veux être riche, faudrait savoir.

Donc, tu as une idée pour, euh, disons, allez, une app pour smartphone révolutionnaire. Mais tu ne sais ni programmer, ni concevoir une interface utilisateur.

Qu’à cela ne tienne, tu n’es pas un branleur, et tu sais qu’il faut faire les choses comme il faut. Tu dois donc embaucher (ou t’associer à) un directeur technique, ou un chef de projet et embaucher des programmeurs et un designer (ou sous-traiter, mais ça ne fait que déplacer ce que je te raconte chez les sous-traitants alors pour les besoins de cette édifiante démonstration, on dit que tu embauches, OK ?).

Or, tous ces ingrats frileux ne veulent pas bosser pour tes beaux yeux. Ils ont besoin de bouffer et de se loger (voire de nourrir et loger des enfants). Et ils s’arrachent sur le marché du travail, parce que tout le monde a une idée d’app pour smartphone révolutionnaire. Il faut donc les payer. C’est con, mais c’est comme ça. Et puis par là-dessus, il faut payer des « charges patronales » sur les salaires. Et puis tu devras t’acquitter d’une taxe professionnelle, et si tu te rémunères, tu paieras aussi des impôts. C’est délirant !

Tu décides donc de te barrer pour la Silicon Valley, parce que y’en a marre de la dictature socialiste.

Et là, patatras !, tu apprends que les écoles publiques sont tellement pourries que 99 % des gens que tu pourrais embaucher ont fait des études primaires, secondaires et/ou supérieures payantes et sont endettés jusqu’aux ouïes. Que les loyers sont délirants et que du coup, les salaires sont bien plus élevés qu’en France, d’autant plus qu’il n’y a pas de sécu digne de ce nom, et à ce propos, dis-toi bien que tu n’arriveras pas à embaucher qui que ce soit si tu ne leur fournis pas une mutuelle, et pas de la merde s’il te plaît. Et puis logiquement, pour scolariser tes propres enfants, tu vas devoir t’endetter pour toute une vie. Tu as compris la logique.

Oui, mais bon, c’est cool, c’est la liberté, et puis… tu apprends que tu dois payer un impôt sur les sociétés, dont le taux est variable, mais qui grimpe très vite pour osciller entre 35 et 40 % (mais arrête de pleurnicher s’il te plaît : il était de 50 % sous Reagan, de 70 % sous Nixon et de 90 % sous Eisenhower, tous des présidents Républicains, c’est-à-dire à droite de l’échiquier politique. Et ces communistes de ricains vont même jusqu’à appliquer une double peine, puisqu’ils imposent également les dividendes !) Mais attends, ce n’est pas fini ! Si tu gagnes correctement ta vie, disons plus de 60 000 € par an, tu paies aussi des impôts locaux, ainsi qu’un impôt fédéral sur le revenu qui va de 30 à 40 %. Et là, tu te demandes quand même à quoi peuvent bien servir tes impôts, quand tu vois que les infrastructures sont aussi délabrées que l’éducation et la santé publiques…

Bon, tu as compris. Les choses ont effectivement un coût. Même si tu sous-traites tout au Bangladesh, tu vas quand même devoir payer. Aux USA, pour tout ce que ne fournit pas l’état, et pour soutenir la moitié du budget militaire mondial et toutes les prisons, et ici, pour payer tous les fonctionnaires et services que tu prends pour argent comptant (ces salauds de profs, d’infirmières, de flics, des infrastructures souvent correctes, le patrimoine, le Minitel…).

Si tu me permets de faire un double aparté personnel, je peux te dire qu’arriver à dix heures du soir aux urgences avec une entaille au poignet jusqu’à l’os en train de pisser du sang partout, et se voir demander si on est assuré, puis être refoulé vers un hôpital à l’autre bout de la ville quand on répond par la négative, ça fait bizarre quand on vient d’une dictature socialiste. À l’inverse, accompagner un parent gravement malade pendant des mois durant tout son parcours de soins, jusqu’à sa mort, hélas, sans que jamais personne ne te parle, et encore mieux, ne te réclame d’argent, on n’y pense pas sur le coup, mais ce n’est pas rien.

Alors tu vois, moi, ça me fait doucement rigoler, ce mantra qui veut qu’on serait les champions des prélèvements obligatoires, et ça m’angoisse pas-mal l’annonce des 50 milliards d’Euros de coupes budgétaires pour financer le chèque en blanc aux entreprises pacte de compétitivité, parce que même si les coupes étaient accompagnées de baisses des prélèvements sur les particuliers (arrête de rigoler, je te vois), cela voudrait dire qu’on s’engagerait sur la même voie que les USA, où ta qualité de vie dépend de si tu es un méga-Winner qui peut se payer des prestations décentes à excellentes dans le privé, un Winner à crédit qui remboursera ses études jusqu’à sa mort, ou un Loser dont les enfants jouent à la pâte à modeler durant toute leur scolarité, et qui n’avait qu’à pas avoir une rage de dents, un accident de la route, ou un gène défectueux.

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À propos de sknob

Franglophone songwriter, cartoonist, translator, geek, #ronchonchon. VieuxSage, déjà blogueur au XXe siècle, je ne supporte ni l'injustice, ni la mauvaise foi, ni les gens qui réfléchissent avec le cerveau d’autrui, ni les betteraves. En revanche, j'ai un peu le melon depuis que j'ai publié un billet sur le blog de Paul Jorion. Mes camarades m'ont à l'œil.

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6 avis sur “Vases communicants

  1. Clyde Barrow

    Il faut ajouter qu’à chaque fois que l’on baisse « le coût du travail », on transfère la charge sur le salarié, sans toutefois augmenter son salaire ( ça va pas non ?). Parce que évidemment il faut bien que quelqu’un paye, que les recettes de l’état soient compensées, d’une manière ou d’une autre.

    Du coup, la soit disant « politique de l’offre » a pour seul effet de faire baisser le pouvoir d’achat, et donc la demande.

    Comme la demande baisse, l’entreprise ne va évidemment pas produire plus, non, elle va juste se contenter d’empocher le cadeau de l’état pour le reverser aux actionnaires, voire pour le planquer dans un paradis fiscal. Parce que bien sûr dans le même temps, on baisse les impôts des plus riches, et on ne fait pas de contrôles fiscaux. D’ailleurs, Moscovici veut même les supprimer pour les entreprises.

    Cela fait plus de 30 ans que ça dure. Nous en sommes aujourd’hui à 222 milliards d’Euros par an de cadeaux au patronat, dont 50 ajoutés par ce gouvernement « de gauche ».

    Devant l’échec de cette politique depuis 30 ans, quand je vois qu’on continue à faire la même chose, je me dis que Hollande et ses ministres sont soit idiots, soit corrompus, je ne vois pas d’autres réponses.

    Répondre
    • sknob Auteur

      Moi je vois d’autres réponses possibles :
      – ils ont « la foi ».
      – ils s’en branlent
      – ils savent que c’est la cata, mais ils manquent du courage requis pour le dire, et d’imagination nécessaire pour penser en dehors du cadre

      Et je pense que l’un n’empêche pas l’autre.

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  2. Samuel Deniau

    « les champions des prélèvements obligatoires », cette propagande est insupportable. Elle ressemble à celle qui consiste à dire que ce sont les entreprises qui créent l’emploi alors que c’est la conjoncture.

    Répondre
  3. cathy hope

    Les winner n’ont pas le choix sachant qu’en 30 ans la part des dividendes dans la VA des entreprises a été multipliée presque par 5… Effectivement, les dividendes ne sont pas pris sur la VA mais sur le résultat net. Seulement à un moment donné, ils proviennent de la richesse créée, qui, nous sommes bien d’accord, ne l’est pas grâce aux actionnaires.

    Depuis 2003, les entreprises paient plus de dividendes que leur résultat net ne le permettrait ou même que leur résultat net tout court. Elles sont obligées ainsi de s’endetter ou de prendre sur leurs réserves (fonds propres) pour payer leurs actionnaires, de plus en plus exigeants, elles peuvent moins s’autofinancer ou s’endetter pour investir.
    La part croissante des dividendes ne pèse pas encore vraiment à la baisse sur les salaires, mais ça devrait arriver, elle pèse surtout sur le potentiel des entreprises à être compétitives qui donc licencient ou au mieux, n’embauchent plus.
    Marabouté, je ne vois que ça, le gouvernement socialiste leur fait des cadeaux, 50 milliards qui, ajoutés aux autres cités par C Barrow, ne vont servir qu’à restaurer les marges des entreprises et certainement pas à les rendre compétitives ni à créer des emplois, ni même à préserver les emplois existant.

    Ce matin un chef d’entreprise, non pardon un winner, cité sur France inter, disait qu’il faudra (et pas faudrait) diminuer les charges des entreprises jusqu’à ce que la machine redémarre.
    Sachant que la machine ne redémarrera pas et qu’effectivement la dictature socialiste va continuer à se plier aux diktats du patronat, bientôt quand tu te feras une entaille du poignet jusqu’à l’os, mais en France cette fois-ci, soit tu ne trouveras pas de place pour te faire soigner, soit tu n’arriveras pas à l’hôpital à temps (faute de routes entretenues ou de transports en commun efficaces).
    Prends-soin de toi.

    Répondre
  4. sknob Auteur

    @Samuel Deniau, et encore, seulement si elles ne peuvent pas faire autrement

    @Cathy Hope, je n’ai pas poussé mon petit scénario jusque là, notamment parce que mon billet aurait été trop long et que time is money. Merci donc de l’avoir fait pour moi.

    Répondre

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