Tu penses, 1ère partie
Maintenant qu’on a planté le décor, de pique-niques en ballades en forêt en ateliers gribouillage, tu sais que nous vivons une époque charnière, inédite, et que l’on est donc obligés, si l’on veut éviter le pire, de secouer nos habitudes et de sortir des sentiers battus.
Tu t’attends peut-être, cher lecteur, à ce que je te dise quel sentier emprunter. En d’autres termes, tu t’attends peut-être à ce que je pense pour toi.
Ce serait mal me connaître (et à force, tu commences à me connaître un peu).
Penser, c’est le boulot de chacun, et de personne d’autre.
Certes, nous avons tous nos vies trépidantes ou aliénantes ou les deux, nos problèmes personnels, nos responsabilités à gérer. Alors de la même manière que l’on balance parfois du minerai de cheval dans le micro-ondes pour se sustenter, c’est souvent plus commode de piocher des idées dans l’air du temps que de les mijoter soi-même.
Sans compter qu’on essaie souvent de plaire aux gens à qui on veut plaire en adoptant leurs idées, quelles qu’elles soient.
Flairant le filon, les communicants de tous poils nous bombardent de prêt-à-penser, et se battent pour imprimer leur marque sur nos derniers neurones disponibles, qu’ils nous vendent du déodorant ou un programme politique. Achète sinon tu vas fouetter, achète et tu le/la feras tomber, achète et tu auras l’aisselle soyeuse, achète et on pourra un jour pique-niquer tous ensemble dans la joie et l’allégresse, achète ou on va tous mourir dans des souffrances encore plus atroces que celles que je t’inflige actuellement.
Ces messages de séduction, de culpabilisation ou d’intimidation présentent l’avantage supplémentaire de s’adresser directement à notre cerveau reptilien, en court-circuitant la raison, masquant ainsi l’absence de contenu ou de substance.
Enfin, les communicants ont un dernier atout dans leur manche. Ils savent que même si tu fais l’effort de réfléchir par toi-même, neuf fois sur dix, tu ne sauras pas quoi penser.
Je ne t’insulte pas en disant ça. Bien au contraire ! Si tu aimes les petites cases, je te propose de diviser le monde en deux groupes : ceux qui savent ce qu’ils ne savent pas, et ceux qui ne savent pas ce qu’ils ne savent pas (qui sont persuadés de savoir si tu préfères).
Or, le monde étant ce qu’il est, hypercompliqué, hyperconnecté, hyperbordélique et assez hyperdégueulasse, je te propose l’axiome suivant : toute personne qui professe une certitude à propos d’un sujet un tant soit peu complexe est un cynique, un fumiste ou un crétin, que tu suivras donc à tes risques et périls.
(Et puisqu’il faut être pétri de certitudes pour vouloir briguer le pouvoir, tu sais qui dirige nos grandes entreprises et nos pays, mais c’est une autre histoire).
Partant de cet axiome, jouons à un autre jeu :
Écoute tous les gens qui nous expliquent le monde sur les ondes et dans les gazettes. Ils sont sûrs de leur fait ? Sur tout ? Tout le temps ? Quitte à asséner le contraire de ce qu’ils assénaient hier ? Selon l’axiome sus-proposé, ce sont autant de cyniques, fumistes et/ou crétins, qui interprètent le réel à l’aune de leurs préjugés incestueux.
Maintenant écoute ou lis des gens comme Emmanuel Todd ou Paul Jorion, et tu noteras qu’entre d’occasionnels effets de manche ou déclarations péremptoires, ils prennent le soin d’expliquer le cheminement de leur pensée et les méthodes employées, sans masquer leurs doutes et leurs interrogations. Car ils ont pour particularité d’étudier le réel avec les outils et les informations disponibles, puis d’en tirer des conclusions plausibles, qui forgent ensuite leur pensée, édifice en constante mutation, quitte à tordre le cou aux idées reçues.
Et comme par hasard, quand tu écoutes des types comme ça, que tu adhères ou non, tu noteras qu’ils t’aident à réfléchir, parce qu’ils ne te vendent pas des yaourts, mais la yaourtière.
Tu vas me dire que ça prend du temps de s’informer, de se renseigner, pour enfin se former une opinion.
Oui et non.
Si tu as le temps, informe-toi. C’est l’idéal. Dans le cas contraire…
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