Trichet ou l’Europe sans les peuples
Il toujours frappant de constater à quel point ceux qui placent la « rationalité des agents économiques » comme fondement de leur vision du monde s’accrochent aux lèvres d’oracles en tout genre. Avec quelle facilité le frémissement du sourcil d’un banquier central peut faire varier les cours des monnaies et les taux d’intérêt. Parmi ces prophètes de salle des marchés, ces veaux d’or du capitalisme financier, il en est un qui a tenu en haleine les traders cocaïnomanes plus que tout autre au cœur de la crise financière. Avant d’aller pantoufler au Conseil d’administration d’EADS, il tenait dans sa main les cordons de l’Euro. Il était alors une des incarnations des politiques européennes d’ajustement structurel infligées aux pays de la zone Euro. Au premier rang desquels, la Grèce avec la violence sociale (et les résultats catastrophiques) que l’on connait.
Jean-Claude Trichet, président de la BCE de 2003 à 2011.
Les Echos sortent du chloroforme cet ancien cador du FOREX et, sous la naphtaline à la langue d’ébène, on aperçoit la dérive autoritaire de l’Union Européenne (et singulièrement de la Zone Euro).
Quand le « journaliste » lui demande si la crise de l’Euro est derrière nous, Jean-Claude n’en démord pas : « la crise de la monnaie euro n’a jamais eu lieu ». Ah oui, il faut que je vous dise, dans le discours de JC, le monde réel est accessoire. Sa langue est la quintessence de l’idéologie néolibérale. Elle parle directement à l’esprit du dogme.
Or, JC, tu vois, prosaïquement, une politique économique a deux pieds pour marcher : une politique monétaire et une politique budgétaire. La première, c’est toi qui la tenais. La seconde, elle était contrainte par les traités européens et la Troïka (dont, ô miracle, tu faisais partie). Donc, comment te dire JC, ta vision monétaro-monétariste, les yeux rivés sur le taux de change euro-dollar et sur l’inflation, elle en a saigné des peuples. Tu sais la Grèce, cette variable d’ajustement pour rassurer les marchés, elle a perdu 20% de son PIB depuis le début de la crise. Le nombre de SDF y a augmenté de 25% et plus de 40% des enfants grecs vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Mais, toi, t’es là, avec ta chemise à col américain, à mettre des petits bémols : « ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes de gouvernance économique et budgétaires dans la zone euro ». Le problème ne saurait être la politique menée, c’est la gouvernance. Forcément.
Tu te félicites d’ailleurs qu’à la faveur de la crise, l’UE ait renforcé « formidablement le pacte de croissance et [ait] créé une procédure de suivi des déséquilibres macroéconomiques ». (Merci le TSCG!)
Mais ça ne te suffit pas, « il faut aller plus loin dans la soumission des États à la doxa libérale la voie d’une fédération économique et budgétaire européenne ».
Et puis, sourire en coin, tu nous glisses une petite blague qui dit le mépris que tu as du peuple : « notre pays a une tendance à trouver que c’est très bien d’avoir un gouvernement à condition qu’il ne gouverne pas la France elle-même ».
Mais JC, là où tu es formidable, c’est que tu as la solution : « on a besoin d’un diagnostic partagé par les grandes sensibilités, à la fois en Europe et en France. On a besoin d’une stratégie de long terme qui soit très largement multi-partisane. Comme ça a été le cas dans une partie des années 80 et 90 ». A partir de 1983 hein, comprenons-nous bien.
Une sorte d’union nationale qui déborderait les frontières et s’appliquerait à toute la Zone Euro. Les petites nuances qui persistent entre la droite et la groite (dite social-démocratie) te gênent encore un peu, JC. Tu voudrais plus d’homogénéité, de consensus. Que les peuples ne partagent pas ce « diagnostic », c’est accessoire. Tant que les hommes politiques sont d’accord sur l’absence d’alternative à l’orientation néolibérale de l’Europe, tout va bien.
La démocratie, JC, c’est le débat. La confrontation de visions opposées. C’est le conflit d’idées. Tout l’inverse de ce que tu souhaites : le consensus, l’absence de choix, la fin de l’Histoire. Cette obsession libérale qui efface les clivages politiques et détourne progressivement les électeurs des urnes et de ce qui reste de nos démocraties.
Tu incarnes, Jean-Claude, une certaine idée de l’Europe. L’idée qui gagne pour l’instant, celle d’une Union Libérale, obsédée par la compétitivité, qui fait des populations des variables d’ajustement. Celle d’une Europe qui pourrait se passer des peuples qui ne comprennent rien à rien. Tu incarnes à ta manière la dérive autoritaire de l’Union Européenne. Tranquillement, sûr de toi, tu es un ennemi viscéral de la démocratie.
Mots-clés : démocratie, Europe, la groite