Babordages

Pendant qu'ils ne cherchaient pas d'alternative, nous pensions à un #PlanB.

Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite

Jason a neuf ans.

C’est un garçon comme tant d’autres.

Comme le mien. Comme le tien.

À l’école, il a quelques copains, mais il n’a pas vraiment d’ami. Il n’est pas tout à fait comme les autres, il paraît. Il n’est pas toujours très propre. Il ne porte pas les dernières baskets. Il y a des trous dans les chaussettes qu’il cache furtivement dans les vestiaires de la piscine. Il n’a pas de console de jeu. Il n’a pas de livre. Sans être un souffre-douleur, il est celui dont on peut discrètement se moquer, celui qui sera choisi en dernier pour le foot, le second choix, le pis-aller.

Devant l’école, ceux qui prêtent attention te diront que les enfants sont cruels.

Et pourtant, Jason sourit.

Il porte toujours la même veste élimée, qu’il pleuve, qu’il neige. S’il fait grand beau, il ne la quitte pas non plus. Difficilement, il l’accroche au porte manteau avant d’entrer en classe. Un jour, il racontera au maître que c’est celle de son frère. Ce frère, absent des documents de l’école et dont l’enseignant ignorait l’existence. Ce grand frère qui, l’an dernier, à vingt piges, a fini sa route sur un platane. Rejoindre le père.

Devant l’école, ceux qui savent te diront que la vie est cruelle.

Et pourtant, Jason sourit.

Sa mère aussi sourit quand elle vient le chercher. Elle ne s’attarde pas, mais elle sourit. Elle file ensuite au collège chercher la grande sœur. Elle est là, tous les jours. Imperturbablement dans une voiture branlante. Elle ne travaille pas. Elle ne travaille plus, depuis longtemps, trop longtemps. Dans cette ruralité, il n’y a pas de travail. Il n’y en a plus. Depuis trop longtemps.

Devant l’école, on n’en parle pas.

Un soir, elle ira voir le maître. Elle s’excusera bien parce qu’il ne faut pas déranger. Elle lui demandera si, par hasard, il était possible que son fils change de place. Il ne voit plus le tableau. Il est myope et a cassé ses lunettes. Il y a six mois. Six mois. Il faudrait bien qu’elle lui en refasse faire, mais en ce moment, elle n’a plus sa CMU, il y a des papiers à remplir. Elle ne sait plus bien. Elle n’en peut plus des papiers, c’est compliqué. Le maître lui proposera un coup de main qu’elle refusera. Jason aura de nouvelles lunettes, l’an prochain, peut-être.

La discussion se poursuit, elle raconte, un peu, combien c’est difficile. Elle ne mange pas tous les jours, il faut d’abord nourrir les enfants. Comment va-t-elle faire quand la voiture va claquer ? Et quand la grande ira au lycée. C’est trop loin. Pourra-t-elle payer le car ? Et pendant ce temps, à Paris, ces gauchistes qui ne font que s’occuper du mariage pour les pédés alors qu’elle arrive à peine à faire bouffer ses mômes.

Le maître lui expliquerait bien (c’est un peu son truc la pédagogie, la chose politique aussi d’ailleurs) que pédé est une insulte homophobe et que, qualifier ce gouvernement de gauchiste quand il suit tranquillement son petit bonhomme de chemin néo-libéral n’est peut être pas une analyse très pertinente. Mais il se tait. Le devoir de réserve. Cette femme qui souffre. C’est tout sauf le moment pour faire de l’humour. Il lui propose à nouveau de l’aide, pour Jason, pour les papiers administratifs. Elle dit qu’elle y réfléchira. Peut-être.

En partant, elle lui dit que ce qu’il lui faudrait c’est un travail et que pour ça, il ne pourra jamais l’aider. Jamais. Qu’il est bien gentil, mais que c’est pas son aide avec la paperasse qui va la sortir de la merde et que la charité, elle n’en peut plus. Elle n’en veut plus. Elle en a marre.

Parce que quand il enlève sa casquette d’instit, le mauvais esprit est son fonds de commerce, le maître lui aurait bien dit que quelque part, sur les internets, des gens fêtent le pari gagné de Hollande, le passage de 10,9 à 10,8 % de chômage. L’inversion de la courbe.

Mais il se tait.

Elle est déjà bien assez en colère comme ça.

En mars, elle votera pour bien les faire chier, tous ces cons.

Demain, Jason sera assis au premier rang.

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À propos de fabu_land

Rouge et Vert, décoiffé et mal rasé. Daltonien aussi, un peu. Éleveur de Macaque en milieu tempéré. Ne crois ni en Dieu, ni en la Croissance. Ne suis qu'amour, mais faut pas m'emmerder !

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7 avis sur “Toute ressemblance avec des personnages réels ne peut être que fortuite

  1. Rem*

    Oui : juste, émouvant… et le pire est qu’il y a des milliers de cas similaires dans le seul domaine des enfants à l’école… sans parler de tant d’autres domaines où « le discours militant » est complètement contre-productif (jargon ennemi) ou plus simplement STUPIDE… : tant pis pour nos causes, si nous ne savons pas quitter nos œillères : l’instit le fait en déplaçant le myope au 1° rang. C’est déjà cela. On peut tous, chacun(e) faire, parfois, un acte minimum, bien plus concret et efficace qu’un blabla…

    Répondre
  2. Log

    Bon, ben voilà quoi! Quand l’étiquette n’est vraiment rien d’autre qu’une chiure de mouche bien inutile. Reste le regard respectueux que l’on oublie trop souvent de porter sur l’autre en chaussant nos lunettes bien confortables de nantis de droite ou de gauche.
    Et merde. On est nul.

    Répondre
  3. danielle wilhelm

    Percutant !
    Mon quotidien pendant de longues années (mais trop courtes) quand j’essayais d’amener du réconfort et de l’humanité dans ce monde d’abrutis !
    Merci !

    Répondre
  4. politeeks

    ça va peut être paraitre incongru et déplacé , mais moi j’ai la CMU, j’ai demandé pour des lunettes, et là au secours. Et puis j’ai trouvé à Paris une boutique qui fait les trucs pour myope de base à 49€ (avec des gros verres mais ça corrige hein…)

    Répondre

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