Algorithmes et réseaux
Si tu as lu les 14 précédents épisodes du #LeFeuilleton (déjà !), tu commences à me connaître un peu. Mais tu ne sais pas forcément que lorsque je parle de tel ou tel travers charmant ou désolant « des Français » c’est avec une perspective un peu particulière, car il se trouve que j’ai deux nationalités, et que j’ai longuement vécu dans quatre pays différents. (Si ça t’intrigue, va lire ce billet adoubé par @charlineaparis, ce dont je ne suis pas peu fier !).
Être multiculturel et donc partiellement déraciné où que l’on aille est une expérience douce-amère. Douce, car elle permet de comparer, de garder un regard relativement frais sur son environnement, et ainsi d’apprécier des qualités qui nous ont manqué ailleurs. Amère, car lorsque l’on côtoie des gens enracinés sur leur terrain, on se sent toujours un peu décalé, à côté de ses pompes, quand on n’est pas complètement largué et à côté de la plaque.
Tiens, je vais te raconter deux anecdotes.
Un jour, lorsque je vivais à New York, j’ai été tiré au sort pour être juré.
Ce fut une expérience culturelle et humaine assez particulière. J’ai heureusement été confronté à une assez banale affaire de vol à la tire. En outre, l’accusé s’était fait gauler en flagrant délit en plein Times Square par des flics et sous l’œil de nombreux témoins et de caméras de surveillance.
Mais même si j’avais été confronté à un cas de conscience, le système américain m’aurait protégé. En effet, en tant que juré, on t’explique très précisément ce sur quoi tu dois te prononcer. Pour faire simple, si le prosécuteur a démontré que l’accusé a commis tel acte précis, tu es obligé de le trouver coupable. Tu n’as pas d’autre choix. Si A, alors B. #Pouinbar. Pas de B prime, de C ou de déprime. C’est algorithmique. On applique la règle et puis c’est tout, sans se poser de questions existentielles. On s’en fout du contexte, des circonstances atténuantes, et autres externalités vaguement sociologico-psychologico-branlatoires.
Bien que les preuves étaient accablantes (vidéo) et que la défense avait été complètement désemparée, je n’écartais pas dans mon imagination romanesque de jeune franco-amerloque cinéphile une situation à la 12 hommes en colère, ou des lignes de fracture ethniques dignes de West Side Story. Or, lorsque le jury bigarré s’est retiré pour délibérer, il s’est acquitté de sa tâche solennelle avec calme, méthode et sérieux, en suivant scrupuleusement les règles du jeu dictées par le juge.
Sur le coup, ça m’a impressionné. Presque ému, décalé que j’étais.
Alors qu’en fait, aux États-Unis, la règle, c’est la règle, partout. Si une multinationale évite légalement de payer ses impôts, eh bien c’est normal. Si un type est condamné à 30 ans de taule pour son troisième vol à l’étalage, ça n’émeut pas tant que ça. On s’en fout de savoir s’il était affamé. On ne s’interroge pas sur les inégalités sociales ni sur la proportionnalité de la peine. Il connaissait la règle, il l’a transgressée, il est puni.
L’algorithme roi.
(Heureusement, à New York, le jury ne doit pas se prononcer sur la peine. Je ne sais donc pas de quoi mon voleur a écopé).
Une quinzaine d’années plus tard, établi en France (par choix !), un accident de la vie m’a fait atterrir dans le 5e arrondissement de Paris (oui, il y a pire comme accident de la vie, mais les hordes de touristes partout, ça gâche un peu le paysage).
Un jour, mon aîné qui terminait l’école élémentaire fut affecté au collège du secteur. Je ne savais pas encore à quel point cet établissement était prisé des parents qui rêvent d’un avenir prestigieux pour le glorieux fruit de leurs entrailles.
J’ai dû innocemment lâcher le morceau en attendant les enfants à la sortie de l’école élémentaire située dans un autre arrondissement (à cause de l’accident sus-cité). Que n’avais-je pas fait là ! La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre, et je croulai bientôt sous les demandes de parents qui ne m’avaient jamais adressé la parole souhaitant se domicilier chez moi, certains proposant de me graisser grassement la patte pour le privilège.
J’étais devenu un nœud, de réseau, potentiel.
Aurais-tu fait pareil à leur place ? Moi, l’idée ne m’aurait jamais traversé l’esprit, ne serait-ce qu’en raison de mon ignorance des rouages officieux du système (exemple de décalage multiculturel).
Il faut dire que je suis le genre de crétin qui paie ses impôts, ses cotisations, sa redevance (ça, ça fait mal au cul, je te l’accorde). Je n’use pas de passe-droits. Un peu beaucoup par philosophie (du vivre-ensemble, du respect de l’autre, égalité, fraternité, toussa), un peu beaucoup par décalage culturel qui fait que je ne capte pas le réseau.
Si le système est mal foutu ou injuste, je considère bêtement qu’il faut consacrer son énergie à le décrier pour le modifier, pas à le contourner pour obtenir un avantage individuel qui se fera fatalement au détriment d’un autre, et au final de tous.
Le côté procédurier et algorithmique des Américains me rend dingue pour des tas de raisons que je développerai peut-être une autre fois.
Mais le côté magouilleur des Français me hérisse tout autant, car ses conséquences sont désastreuses.
Certes, la corruption et les conflits d’intérêt existent partout, mais quand ils ne provoquent finalement qu’indifférence, passée une petite bouffée de chaleur médiatique, quand des barons locaux mafieux condamnés sont réélus les doigts dans le nez (comme chez moi, coucou Mayor Tibéri !), quand les mis en examen suspectés de corruption et de connivence courent les plateaux de télé pour donner leur avis sur tout et sur rien, quand un ex-président de la République qui traîne plus de casseroles que tous les restaurants de Neuilly réunis peut « revenir » sans que cela ne sidère les médias qui rapportent l’info ni leurs lecteurs, lorsque ça truande de partout à la tête des principaux partis de gouvernement, ou lorsqu’un ministre doit avouer à contrecœur qu’il a truandé pour qu’on accepte finalement à contrecœur de révoquer son accès réseau, je te le dis avec toute l’affection que je te porte, cher Français : c’est de ta faute.
Tes dirigeants sont à ton image, et ça devrait te faire réfléchir deux secondes.
Car peuple intrigant et romanesque par excellence, tu ne peux pas te cacher opportunément derrière un algorithme, comme ton expéditif cousin d’outre-Atlantique.
Mots-clés : LeFeuilleton
» tes dirigeants sont à ton image » oÔ? … je crois pas non … même Méluche agresse mon bon sens » d’être libre « … je pense en fait que tout dirigeant ne dirige rien du tout … ils manipulent les situations … dépassés par leur incompétence … et les conflits d’intérêts … le pouvoir nourrit leur ego … et se détourne mal habilement de l’objectivité des situations … bref des faux culs , et le peuple : des esclaves crédules nourris d’ignorance pieds et poings liés au destin de leur propre vie volée .
Certes, mais ce n’est pas mon propos. Je prétends ici que Lefrancédebase est magouilleur et s’accommode donc trop facilement des magouilles en haut lieu, ne serait-ce qu’inconsciemment.
… discutable … le pouvoir de chacun demeure singulier et ne peut en aucun cas être une généralité … si » magouille » d’un français de base s’avère , on la nommera » démerde » … en haut lieu … « escroquerie » d’avantage sous couvert de loi …
Pour s’accommoder de l’impunité d’êtres de pouvoir , la base a ou n’a pas la conscience d’un mimétisme … , la juste évidence d’un besoin vital ou pas … tout dépend de l’honnêteté de chacun et de la dite » bonne conscience » …
Ceci dit , le français de base , si il est magouilleur , ne se contentera pas d’avoir une projection exemplaire des hauts lieux … magouillera de toute façon … l’injustice , surtout , justifie cet état de fait .
Vous confirmez mon propos. Merci 😉
On manque cruellement d’exemplarité c’est net.