Supprimer l’héritage ? Tu n’y penses pas ?
Et si on y pensait un peu.
Pourquoi abolir l’héritage ?
À une telle question, on pourrait répondre tout simplement : parce qu’Arnaud Largardère.
Mais cela reviendrait à traiter le problème sous l’angle de ses dommages collatéraux, de ses externalités positives, comme disent les économistes. C’est intellectuellement plaisant de se dire que Liliane Bettencourt aurait dû trimer toute sa vie plutôt que se contenter de regarder grossir la fortune de papa. Ce n’est malgré tout pas suffisant (quoique jouissif).
Cette question fait partie des angles morts du débat public (qui sont légion, nous sommes d’accord), des impensables en politique.
Sans prétendre que ce soit l’alpha et l’oméga de la réduction des inégalités, poser ce débat a le grand mérite d’interroger profondément le système capitaliste et les mécanismes de reproduction sociale.
Un des intérêts évidents et immédiatement saisissable est le sacré coup d’arrêt que cela donnerait à la dérive des inégalités. Inégalité de patrimoine uniquement, certes, mais facteur important de reproduction sociale. Aujourd’hui, 10% de la population touchera en héritage ce que les 50% les moins bien lotis gagneront au cours de leurs vies. Une paille.
Tous les droits individuels, politiques et sociaux, sont attachés à l’individu réel et vivant. Une fois mort il n’y a plus ni volonté fictive d’un individu qui n’est plus et qui, au nom de la mort, opprime les vivants.
Mikhaïl Bakounine, 1865, Catéchisme révolutionnaire
J’entends déjà glapir dans les sous-bois d’une incertaine gauche contre la spoliation du pain des travailleurs. Il faut dire que contrairement à l’expulsion des Roms ou au travail le dimanche, c’est une idée qu’on a pas trop de mal à projeter sur soi-même.
Il n’est pas question ici de rentrer dans de vastes calculs sur ce que rapporterait une socialisation des héritages, de son impact sur la répartition des richesses. Ce qui est intéressant dans cette idée, c’est ce qu’elle remet en cause, ce qu’elle change dans le rapport à la richesse, au travail et, osons les grands mots, à la vie.
Le capitalisme a pour principaux moteurs l’accumulation du capital et la propriété privée. Tu vois un peu la taille du grain que tu fous dans les rouages du mécano en supprimant la transmission du capital accumulé, en la nationalisant, ou pire, en la socialisant… Et le grain de sable joue aussi au niveau individuel. Quel est l’intérêt d’amasser plus que l’on ne peut dépenser dans sa vie puisqu’à la fin tout reviendra à la communauté ? La course à la fortune la plus grosse ne perd-elle un peu de son intérêt ?
Briser le lien de la transmission du patrimoine est un accroc sévère à la doctrine générale de « l’égalité des chances » et un pas de côté vers une égalité réelle.
Le but visé par l’abolition de l’héritage ne serait bien évidemment pas punitif. L’âge moyen de perception d’un héritage en France est de 53 ans. Ce qui signifie que l’héritier a pu généralement jouir des biens de ses ascendants pendant une bonne cinquantaine d’années, ce qui n’est pas si mal. Quelle est l’utilité sociale qu’il hérite, si ce n’est pour renforcer son propre patrimoine déjà, au moins partiellement, constitué ?
Car l’ascenseur social est en panne depuis suffisamment d’années pour estimer que ce sera durable. Aujourd’hui 8% des enfants d’ouvriers deviennent cadres sups et 35% sont ouvriers. Pour les enfants de cadres sups, l’immobilité sociale est plus confortable, 37% font comme leurs parents et 10% deviennent ouvriers. L’héritage vient ensuite conforter les inégalités. Si on se penche sur le patrimoine de ceux qui héritent, on note la même inertie : 55% de ceux qui ont un patrimoine inférieur à 10 000€ hériteront de moins de 8 000€ quand 64% de ceux qui ont un patrimoine de plus de 500 000€ hériteront de plus de 30 000€ (Insee, 2010).
Tes parents sont pauvres, tu seras pauvre et n’arriveras pas à te constituer un patrimoine. Tes enfants n’auront rien à ta mort. Pas de bol, t’avais qu’´à travailler le dimanche et la nuit feignasse !
Tu n’es pas un minable (selon le Petit Copé Illustré, à partir de 5000 euros par mois), ô miracle, tes parents aussi. Une fois que tu auras fini de rembourser ta résidence secondaire (ta maison dans l’Ouest parisien c’est déjà fait grâce à un leg de papa et maman), tu hériteras de tes parents d’un joli petit pactole que tu pourras placer pour ta retraite (tu es pour la capitalisation de toutes façons). Tes enfants sont tranquilles pour leurs vieux jours, ils hériteront de ta petite fortune. Elle est pas belle la vie !
Le pactole de l’héritage et de la donation ne serait-il pas plus utile à construire des écoles, des hôpitaux, payer des professeurs et des travailleurs sociaux, qu’à venir consolider les classes supérieures jusqu’à en faire des forteresses ? Tu penses bien que ce serait aussi pas si con pour régler les problèmes logements. Bref, ça ouvre une sacré brèche pour une répartition des richesses un peu plus équitable.
Les inégalités de patrimoine jouent un rôle capital (si tu me le permets) dans la concentration des richesses, mais elles ne sont pas tout. Capital culturel et revenus sont des facteurs tout aussi cruciaux de la construction des inégalités. Abolir l’héritage ne peut constituer la pierre angulaire d’un programme de transformation sociale. Mais le symbole est fort. Et il faut bien commencer par quelque chose, siffler la fin de la récré.
Et bien, moi Président, je commencerai peut-être bien par ça.
P.S. : J’entends déjà certains libéraux se réjouir. Enfin, on approcherait une concurrence pure et parfaite. Mais non, mon petit Madelin, tout se joue dans la répartition des fruits de l’abolition de l’héritage. Nous y reviendrons…
Mots-clés : économie, Inégalités
N’oublie pas la composante sociale et culturelle de l’héritage: des racines, une maison de famille, un nid. Supprimer l’héritage renforcerai le déracinement pour beaucoup. De plus, l’accumulation dépends du nombre d’héritiers et de la distribution des biens entre héritiers.
En clair, je suis pour la propriété privée du foyer familial. Je suis par contre absolument contre l’accumulation de biens supérieure à ce que l’individu peut jouir à titre privé (résidences secondaires, immeubles collectifs etc.)
1/3 des héritages et inférieur à 8 000 euros, 85% inférieur à 100 000 euros. L’héritage dépend plus de la classe sociale des parents que du nombre d’héritiers…10% des foyers les plus riches possédant près de 50% du stock total de patrimoine.
La socialisation de l’héritage ne peut être envisagée que comme une composante d’une transformation plus large. Ce dont tu parles n’est pas tant la propriété que la possibilité de jouir d’un bien. On peut imaginer que ce soit possible pour les descendants direct, sur une ou deux générations.
On peut aussi imaginer qu’une autre répartition des richesses permette aux descendants de racheter le bien.
Encore une fois, en moyenne, l’héritage est perçu après 50 ans. Les racines ont déjà eu le temps de pousser un peu et, dans une société plus égalitaire, on peut imaginer qu’être précaire à cette âge là soit qu’un lointain cauchemar… #rêvons
Bon tu veux un commentaire in situ OK En pratique seule la propriété immobilière peut-être contrôlée. Pour le reste la montre à 100 000€ de Copé peut glisser au poignet de l’héritier sans trace et les sociétés par actions émettent des actions anonymes, l’État des bons au porteur.
Le troisième point c’est que le paiement de l’impôt et des taxes sur l’héritage ne fonctionnent que par Consensus. Les payeurs sont plus ou moins convaincus de la légitimité du prélèvement.
Sinon c’est aussi efficace que la lutte contre le trafic de la coke
Restons dans des scénarios crédibles
Il est évident que l’abolition de l’héritage ne peut se suffire à elle-même et devrait nécessairement s’inscrire dans un programme de transformation sociale bien plus large. Ce billet n’a pas plus de prétentions que d’être un petit pavé dans la mare.
Sur tes objections :
– les valeurs mobilières peuvent et sont déjà contrôlées. Il faudrait effectivement renforcer les contrôles. De toutes façons, une telle réforme n’aurait aucun sens dans un environnement de libre circulation des capitaux.
– la légitimité de l’impôt est effectivement une question centrale. Au vu des inégalités de répartition du patrimoine, une redistribution serait à l’avantage de la majorité. Encore une fois, il n’est pas question de confiscation mais de redistribution.
la deuxième réflexion ce sont les héritages non administrables: le génétique et ses maladies transmissibles, le bagage culturel que les kmers rouges ont tentés effectivement d’éradiquer.
Ici les enfants de surfers deviennent au minimum de bons surfers sans héritage avec toute la philosophie de vie que cela implique
Comme je l’écris dans le billet, ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la transformation sociale. Évidemment, cela ne règle pas la question centrale de la reproduction sociale : la transmission du capital culturel. Ne peut-on pas imaginer cependant que le fruit de cet impôt puisse servir à cela, en l’investissant dans l’éducation par exemple ?
L’idée n’est pas de créer un « homme nouveau » et d’éradiquer son héritage au sens large mais bien de réfléchir à une société rendant possible une égalité réelle.
On oublie une des composantes essentielles de l’héritage : l’alibi de la transmission. L’héritage est un prétexte « noble » pour accumuler. C’est le fameux, « je fais ça pour mes enfants ». Un altruisme de proximité pour excuser l’égoïsme fondamental. C’est pour cela que ce n’est pas prêt de disparaître. Ce n’est pas vu comme une conséquence du refus de partager, mais au contraire, comme un prétexte pour continuer a accumuler pour sa gueule.
Je plussoie.
Je suis plus que d’accord avec cette idée.
Supprimer l’héritage et le remplacer par un « leg » égalitaire de l’état, une espèce de dotation universelle, que chacun toucherait à sa majorité.
Égalité des chances…
Pourquoi pas… Même si je suis très méfiant vis-à-vis des solutions de ce type (revenu de base) qui sont malgré elles souvent le cheval de Troie du libéralisme le plus débridé…
Vrai. J’essaie maladroitement de mettre l’accent sur ceci :
http://tutellecuratellehorslaloi.wordpress.com/2013/05/11/mandat-de-protection-future-mensonger-suite/?preview=true&preview_id=167&preview_nonce=b2248c8c23&post_format=standard
Oh combien d’accord ! L’injustice de la naissance, l’injustice de l’éducation, du confort tout au long de la vie, tout cela couronné par l’injustice de l’héritage, qui arrive pourtant très tard et qui ne sert parfois qu’à conforter les petits-enfants dans l’assurance qu’ils recevront aussi un beau cadeau lors d’un futur décès. Où est l’encouragement au travail, au dynamisme, à la création d’entreprise et de richesse ?
Alors oui, profiter du capital qu’on a acquis tout au long de sa vie et redonner ce qui reste à la communauté à travers l’impôt, voilà qui serait juste et permettrait de rétablir un peu l’équilibre, de redistribuer à tous le surplus de ce qu’on a gagné, et pas seulement à ses propres enfants.
Encore faudrait-il que chacun se rappelle que payer un impôt n’est pas « se faire voler » par l’Etat, mais rendre à la communauté.
Puis avec les familles modernes complètement dégénéré ( recomposé comme ils disent ) l’héritage devient un cafouillage ou l’injustice et l’incompréhension générale se mélange pour donner haine et frustration, là ou il y avais que accommodement par la force d’inertie aux conventions de la commodité pratique et à la faiblesse de caractère.
Totalement d’accord avec ce billet.
Cependant, il faut être clair, la suppression de l’héritage viserait à équilibrer la transmission du capital financier dans le sens d’une égalité réelle mais n’aurait aucune action sur celle du capital culturel. Aucune mesure ne peut être prise concernant la transmission du capital culturel et HEUREUSEMENT puisque ce capital est constitué de la transmission d’une histoire familiale transgénérationnelle. S’il est pensable d’intervenir sur le capital financier, je ne crois pas que le capital culturel doive faire l’objet d’une quelconque loi ou alors c’est qu’on veut mettre en place une dictature.
La suppression de l’héritage du capital financier est JUSTE puisque ces même héritiers héritent déjà du capital culturel (éducation, réseau, qualité de vie etc) et c’est bien suffisant pour construire sa vie et montrer de quoi l’on est capable s’il faut reprendre les termes de l’élite prêchant une méritocratie qui n’a jamais eu court et n’aura jamais court tant que l’héritage de patrimoine existe.
La suppression de l’héritage est à mon avis l’urgence n°1 sinon ce sera à terme une R…. Je m’intéresse également au revenu de base et dans l’ordre pour 5 francs, il faut d’abord supprimer l’héritage et ENSUITE mettre en place un RBI. En effet, la situation structurelle patrimoniale de la France après 40 ans d’accroissement des inégalités principalement du à l’héritage (http://www.inegalites.fr/spip.php?article1357) et à la bulle immobilière, mettre en place un RBI reviendrait à séculariser une société de rentiers déjà de retour.
Le RBI ne changerait absolument rien sur la contrainte du travail pour ceux qui n’héritent d’aucun patrimoine et sont de fait prisonniers d’un loyer à verser à des rentiers devenus très nombreux.