Babordages

Pendant qu'ils ne cherchaient pas d'alternative, nous pensions à un #PlanB.

Rencontre avec Pierre Larrouturou

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Pierre Larrouturou

En mai 2013, alors que le collectif Roosevelt tentait de réveiller l’Assemblée Nationale, nous avions croisé la route de Pierre Larrouturou. Nous avions d’ailleurs évoqué ses propositions dans notre Top 5 des #PlanB. Depuis, certains d’entre nous ont lu son livre. Ça n’a pas été facile. Il y a quand même Michel Rocard sur la couverture.

Mercredi dernier, nous avons essayé d’en savoir un peu plus les intentions de celui qui vient tout juste de quitter le PS pour créer Nouvelle Donne. Bien que le discours soit rodé, certaines questions resteront sans réponse, les décisions n’étant pas encore actées.

Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais c’est mieux si tu te fais ton opinion toi-même.

 
Babordages : Peux-tu revenir un instant sur ton parcours et nous expliquer pourquoi aujourd’hui, tu as décidé de quitter le PS pour créer Nouvelle Donne ? Quel a été l’élément déclencheur ?

Pierre Larrouturou : Ça fait vingt ans que je participe au débat public. Mon parcours est un peu sinueux, je ne suis pas resté toujours dans le même parti. J’ai eu ma carte au PS quand j’étais étudiant. Je l’ai quitté parce que j’ai été déçu par ce qu’avait fait Rocard, et j’y suis revenu après le 21 avril 2002 parce que je pensais que la baffe était suffisante. J’ai pensé que cela suffirait pour qu’ils se mettent au boulot. François Hollande m’a dit : « Si nous t’avions écouté, ça ne se serait pas produit, tu as toute ta place, reviens à la commission économie. » Et j’y ai cru. On a essayé de les faire bouger. On avait été plus de 5000 militants et 18 députés à demander que le PS se mette au travail. Voyant que ça ne bougeait pas, j’ai quitté le PS pour EELV avec Stéphane Hessel, en espérant que cette formation allait incarner quelque chose de nouveau. Et puis, nous nous sommes rendu compte que dans les négociations avec le PS, tous les éléments les plus importants étaient laissés de côté, pour obtenir des postes. Nous ne partagions pas cette stratégie qui montre aujourd’hui ses limites.

On s’est rendu compte qu’aucun débat n’était possible au PS ni sur les questions économiques, ni sur l’Europe.Nous sommes donc revenus au PS où nous avons pu déposer une motion. On a fait plutôt un bon score, 12%, plus de 10000 militants avaient voté pour nous, dans un parti que tout le monde disait verrouillé. Il y a quinze mois, après le congrès de Toulouse, nous avions la promesse par écrit que le PS allait se mettre au boulot, que pendant trois mois début 2012, durant des états généraux de l’emploi, on allait réfléchir vraiment à comment lutter contre le chômage et la précarité. On y a cru. Et non seulement nous n’avons pas eu trois mois, ni même trois semaines et même pas trois heures. Mediapart raconte d’ailleurs comment on s’est fait déchiqueter juste parce que nous montrions la courbe de la croissance sur les dernières décennies. Il y a eu aussi une convention sur l’Europe, et alors que nous étions membres du bureau national avec quelques amis, nous voulions déposer un amendement sur l’Europe politique, pour dire que c’est maintenant qu’il faut que François Hollande tape du poing sur la table sur l’Europe sociale et sur l’Europe politique. Et on a été interdits. Physiquement. On s’est rendu compte qu’aucun débat n’était possible au PS ni sur les questions économiques, ni sur l’Europe. À aucun moment. Quand on arrive tout le monde ricane.

Et vous avez continué à y croire au début de la mandature ?

On a été reçus, avec le collectif Roosevelt, une quinzaine de fois, à Matignon, à l’Élysée, donc on y a cru. Le fait qu’ils prennent le temps de nous recevoir, longuement, on s’est dit que peut-être ils étaient intéressés. On a cru pendant quelques mois qu’ils allaient bouger. Jean-Marc Ayrault m’a même dit : « Je suis comme toi, tous ceux qui disent que la croissance revient, je n’y crois pas. » Comme on croit vraiment à ce que l’on dit sur la gravité de la crise sociale, sur la question politique, ce qui est en train de se rompre entre le peuple et les élites. Sur la question climatique, on croit vraiment qu’on n’a pas vingt ans devant nous pour changer les choses, on s’est dit que nous allions tout faire pour convaincre. Tout de suite. Nous avions prévenu que si ça ne bougeait pas à La Rochelle nous prendrions nos responsabilités. On ne va pas cautionner une politique qui nous amène à la catastrophe. Nous sommes donc partis et nous allons proposer aux citoyens de voter pour une alternative.

On a assisté récemment à, si ce n’est un tournant, une sorte d’approfondissement de l’orientation libérale du gouvernement. Comment y réagis-tu ?

C’est troublant et inexplicable que cette politique soit faite par un gouvernement « socialiste ».

Mettre en œuvre une politique de l’offre n’est pas politiquement scandaleux en soi, c’est simplement que ce n’est pas un projet de civilisation. Du point de vue anthropologique et philosophique cependant, c’est scandaleux, et inefficace économiquement.

Que socialistes et écologistes français s’alignent sur cette politique en faisant semblant de ne pas voir qu’aux USA par exemple, la reprise est en trompe-l’œil, que la croissance est un mauvais indicateur, que le bon est le taux d’activité et qu’il est en train de s’effondrer, c’est vraiment troublant. Pourtant aux USA le coût du travail est faible, le code du travail très simplifié, il permet de licencier facilement. C’est un modèle qui plaît au Medef, et ça ne marche pas.

On a l’impression que le jeu c’est d’arriver dans la tombe avant le voisin. Baisser les coûts plus que le voisin. C’est suicidaire.Ce n’est pas un problème idéologique, ce n’est pas parce qu’on est de gauche, mais objectivement ça ne marche pas. C’est terrible de voir que la gauche française, enfin une partie, le gouvernement français, avec le soutien des députés, s’aligne sur une politique qui nous amène à la catastrophe alors qu’ils ont les éléments pour voir. Il y quelque chose de scandaleux à les voir, sans aucun enrobage, promouvoir cette politique qui ne peut pas marcher, ni socialement, ni économiquement. Autant on peut envisager une meilleure compétitivité sur la qualité des produits, ce serait une bonne compétitivité. Une compétitivité écologique et sociale par exemple. Mais là on a l’impression que le jeu c’est d’arriver dans la tombe avant le voisin. Baisser les coûts plus que le voisin. C’est suicidaire.

Quelle est alors la stratégie de Nouvelle Donne ? Vous visez à être majoritaires ? Vous voulez peser sur le PS, mais de l’extérieur ?

Le scénario le plus optimiste serait qu’une quinzaine de députés, du PS et/ou d’EELV, nous rejoignent et que l’on constitue un groupe Nouvelle Donne à l’Assemblée Nationale. Ça changerait beaucoup de choses pour la suite des travaux. On ne fait pas des plans sur la comète, mais c’est du domaine du possible. On rencontre des députés PS, qui ont des convictions, pour qui le parti est une famille, mais qui n’en peuvent plus, qui nous disent que ce n’est plus possible.

On attend donc le soir du 25 mai. Si rien ne bouge après, on continuera de toute façon, il y a des régionales, des législatives, des présidentielles. On sera présents avec un projet encore plus global et avec encore plus de citoyens, encore mieux organisés. Et si le PS s’effondre, et bien, il y a des moments où des partis s’effondrent. Le parti radical a dominé la vie démocratique pendant un moment, aujourd’hui il fait 1,2%.

Donc le scénario optimiste c’est de devenir majoritaires.

Le scénario optimiste c’est de provoquer un sursaut. On est dans la durée. Aucun de nous n’a d’ambition personnelle, quand je me rase le matin je ne me vois pas Président de la République. Mais l’objectif quand on fait de la politique c’est d’avoir les moyens d’agir.

En avril vous sortirez donc un manifeste ?

Oui, qui ira au-delà des 20 propositions. Mais on continuera, des groupes de travail poursuivront en septembre, octobre…

Sur la réduction du temps de travail, on sait que la droite promet de revenir aux 39 heures payées 35. Votre projet c’est quoi exactement ? 32 heures payées 35 ? 30 heures payées 32 ?…

On nous explique que tous les problèmes de la France viennent des 35 heures, mais un ancien ministre du travail UMP, Xavier Bertrand, nous explique que « La durée réelle du travail est de 39,6 heures ». Sans compter les heures supplémentaires ! Le partage actuel du travail se fait donc entre ceux qui ont un boulot « normal » à presque 40 heures, des millions de gens qui font 0 heure par semaine et des millions qui galèrent avec des petits boulots. Nous refusons ce partage scandaleux et voulons en négocier un nouveau, en réduisant fortement la durée du travail. On ne peut se contenter de baisser de deux heures la durée légale. Ça ne créera pas d’emplois. Passer à quatre jours de travail par semaine est un moyen, aussi bien en terme de qualité de vie, de contenu du travail qu’en terme de création d’emploi, de rééquilibrer ce partage.

L’idéal serait que le même dimanche, partout en Europe, les citoyens approuvent par référendum, en même temps un nouveau contrat social et un nouveau contrat démocratique. Ça aurait de la gueule. On prend trois mois de négociations sur les retraites, l’emploi, la fiscalité, on se met d’accord sur 10 ou 15 mesures, avec un vrai débat public. Dans le même temps des parlementaires et des citoyens travailleraient sur la VIe République.

Il faudrait aussi négocier dans chaque entreprise, parce que les problèmes d’organisation ne sont pas les mêmes dans une quincaillerie, dans un supermarché ou dans un hôpital, mais il faut un accord national. Et l’idée du référendum, mais ça ce n’est pas encore acté par Nouvelle Donne, c’est qu’il y ait un vrai débat qui permette une stabilité juridique.

Cela pose la question de démocratie dans l’entreprise, des rapports de propriété. Ce sont des sujets sur lesquels vous travaillez ?

Oui, sur la participation des salariés, sur le partage du capital et sur le collectif, sur le fait qu’ils soient représentés comme salariés au conseil d’administration et non pas comme actionnaires. Il y aura des propositions là dessus aussi. Parmi les chefs d’entreprise qui ont rejoint Nouvelle Donne, il y en a qui ont créé des entreprises où systématiquement 30% du capital est donné depuis le début aux salariés, collectivement.

30% c’est une bonne proportion ou on pourrait aller plus loin ?

Je ne sais pas. C’est en débat pour le moment. De même qu’on propose qu’il y ait un référendum sur le salaire maximum.

De 1 à 12 ?

Non, de 1 à 12 ça a échoué en Suisse, donc on se dit qu’il faut sans doute commencer par être moins restrictifs, on partirait de 1 à 20 ou 1 à 30. Ce n’est pas encore arbitré. Mais il faut le faire par référendum et comme ça, une fois que l’on s’est habitués et qu’on a vu que ça marche économiquement, on pourra aller plus loin.

Les solutions proposées par ND semblent dans la logique de remettre le système sur les rails plutôt que de le remettre en cause, non ?

On veut remettre à l’endroit ce que trente-cinq ans de néo-libéralisme ont foutu par-dessus tête. Il y a eu une révolution avec Margaret Thatcher et Ronald Reagan dans les années 80. Mais les choses ne sont pas compliquées, contrairement à ce que veulent nous faire croire les libéraux qui nous expliquent qu’on ne peut pas comprendre, qu’on ne peut pas agir.

Même la sortie de Bretton Woods, même le premier choc pétrolier n’ont pas foutu en l’air le système comme l’action politique néo-libérale de Reagan et Thatcher l’a fait.Or nous, et c’est pour ça que tout le monde ricane quand on sort des graphiques, on pense que tout le monde peut comprendre. Quand on voit la dette aux États-Unis, on voit qu’il y a eu trente ans de prospérité, jusqu’à l’arrivée de Reagan, c’est très clair, sans avoir besoin ni de dette publique, ni de dette privée. Ce qu’a fait Roosevelt, ce qu’a fait le CNR en France, ça a marché, pour de vrai, pendant trente ans. On ne parle pas de quatre gauchistes qui essayaient des trucs, mais de gens qui avaient connu la crise de 29, et qui ont mis en place des régulations qui ont marché pendant trente ans. Même la sortie de Bretton Woods, même le premier choc pétrolier n’ont pas foutu en l’air le système comme l’action politique néo-libérale de Reagan et Thatcher l’a fait.

Même si on ne comprend rien à l’économie on peut voir qu’il y a eu trente années de stabilités suivies de trente années de fuite en avant. Le monde a changé depuis 1945 bien sûr, mais on peut mettre en place de nouvelles régulations. C’est ce que nous voulons quand nous disons que les citoyens peuvent reprendre la main. Notre but n’est pas la grande révolution. On veut tordre le système.

Mais durant cette période stable, on peut dire quand même que ce n’était pas soutenable au niveau écologique par exemple.

Évidemment. Aujourd’hui si tout le monde achète autant de voitures que les américains, on aura de quoi rouler pendant trois jours. Le problème sera vite réglé, ce sera irrespirable, on n’aura plus de pétrole.

Vous n’êtes donc pas dans une optique de dépasser le capitalisme…

On pense qu’il y a besoin de régulation très forte pour remettre la finance à sa place, séparer les banques de dépôt et les banques d’affaires, limiter les hauts salaires… Les actionnaires par définition sont toujours gourmands, ça fait quatre siècles que le système existe, quand un mec prend des risques au début, qu’il apporte de l’argent, si ça marche et que tu lui laisses le choix entre + 5%, + 10%, ou +15% de rentabilité, il va prendre 15%. Pendant trente ans, le système calmait la goinfrerie des actionnaires et permettait la prospérité.

L’UMP, comme le PS, comme le Modem disaient au moment des présidentielles : la crise est bientôt finie, la croissance revient. Tous nous annonçaient 1,7 point de croissance en 2013. Manifestement ce n’est pas le cas, ni aux USA, ni au Japon, ni en Allemagne, nulle part. Ce n’est pas un problème de personnes, Jean-Marc Ayrault ou Tartempion, c’est juste que ça ne marche pas.

Mais tu penses qu’ils y croient vraiment ?

Pour moi ce n’est pas un problème de croyance ou de philosophie, c’est que ça ne marche pas. Et donc c’est scandaleux qu’un groupe humain qui a voulu le pouvoir, avec des gens d’un tel niveau, et qui avait dix ans pour se préparer ait ce bilan depuis un an : 320 000 chômeurs de plus et entre 400 000 et 500 000 personnes qui sont tombées dans la pauvreté. Est-ce que quand le Président de la République va à Leipzig pour les 150 ans du SPD il faut faire l’éloge de Schröder et de Hartz IV ou faut-il se battre pour avoir un traité européen de convergence sociale ?

Ces vingt dernières années, le PS en a parlé un nombre incalculable de fois en disant : « l’Europe sociale va venir, c’est la prochaine étape. »

Quand le Président va à Leipzig pour les 150 ans du SPD il faut faire l’éloge de Schröder et de Hartz IV ou faut-il se battre pour avoir un traité européen de convergence sociale ?Oui, deux mois tous les cinq ans avant l’élection européenne. Si on crée Nouvelle Donne, alors que ce serait sans doute plus confortable de rester dans un grand parti, c’est qu’on pense qu’on est dans un moment critique. La dernière enquête du Cevipof fout la trouille, il y a vraiment un truc qui est en train de se casser entre le peuple et les élites. On pense que c’est urgent et fondamental de permettre aux citoyens de s’engager, de se lever et de participer à un changement. Dans l’offre politique actuelle il y a un vide politique monstrueux. Si on est des milliers, collectivement, on arrivera peut-être à faire bouger les choses.

Donc, à Nouvelle Donne, vous croyez à la Révolution Citoyenne ? Ça ne s’est encore jamais vu en France, un grand changement par les urnes. C’est également la position défendue par le FdG d’ailleurs.

Ce qui est clair c’est que si l’on ne fait rien, ça ne va pas s’améliorer tout seul. Si on casse tout, on aura les CRS. S’il y a un grand mouvement social, on fera tout pour que nos propositions concrètes soient reprises. C’est vrai qu’aujourd’hui la mobilisation n’est pas très forte de ce côté. Voter est un moyen de faire bouger. Ils sont tous très sensibles au rapport de force.

Mais on peut avoir des doutes sur un changement uniquement par les élections, sans un mouvement social d’ampleur.

C’est vrai qu’historiquement, même en 36, Léon Blum était hostile aux congés payés, et il les a mis en place parce qu’il y avait un mouvement social.

Il n’y aurait pas un bloc à construire entre EELV, la gauche du PS, Nouvelle Donne et le FdG qui pourrait être important en face du PS ? Un nouveau parti ne joue-t-il pas en faveur du PS qui peut montrer une gauche de la gauche morcelée ?

Avec le Front de Gauche, nous avons des convergences, sur les objectifs, sur l’humanisme. Mais nous avons des désaccords de fond, par exemple en matière économique. Quand dès la première page du programme, la proposition c’est augmenter le SMIC de 60% et supprimer toutes les exonérations des entreprises, ça veut dire doubler le coût du travail. Autant je ne pense pas qu’il faille courir après le Medef en expliquant que le seul problème c’est de baisser les cotisations, autant je ne crois pas que cela puisse créer de l’emploi. Qu’on rééquilibre la part des salaires, c’est un objectif. Mais annoncer que sans changer l’équilibre du marché du travail, on double sans aucune convergence européenne le coût du travail, c’est quand même très casse-gueule.

On ne pense pas non plus diviser la gauche. On n’est pas la gauche du PS. Parmi nos membres il y a aussi des chefs d’entreprise, des gens qui ont quitté le Modem. Je pense que l’axe droite-gauche veut dire quelque chose pour beaucoup d’entre nous mais il est peut être dépassé. À droite comme à gauche il y a des gens qui sont conservateurs, qui n’ont pas compris les questions climatiques, les limites de la croissance et, à droite comme à gauche, il y a des gens qui comprennent qu’il faut inventer un nouveau modèle. Si nous sommes d’accord avec les keynésiens du PS pour dire non à l’austérité, nous ne pensons pas que laisser filer la dette va relancer la croissance.

Si l’axe gauche/droite traditionnel n’est plus pertinent, quels sont les clivages ?

Il y a ceux qui continuent de croire à la justice sociale. 90% des gens de Nouvelle Donne ont toujours voté à gauche, mais nous sommes rejoints par des gens de droite aussi, et nous en sommes contents. En démocratie il faut convaincre 51% des gens et respecter les droits fondamentaux des autres.

L’élection européenne est pratique pour un parti qui se lance parce qu’elle ne pose pas la question des alliances, néanmoins, si vous avez des élus au parlement, ils vont appartenir à un groupe. Lequel ?

Des députés de deux groupes politiques nous ont dit que ce serait intéressant qu’on les rejoigne pour déplacer les centres de gravité. Mais pour l’instant on fait campagne, on vient de passer les 4600 adhérents, on rencontre les citoyens, on fait les documents de campagne, on travaille collectivement sur le manifeste. On verra au soir du 25 mai combien on a de députés. Ce qui est sûr c’est qu’on ne restera pas tous seuls et qu’on n’ira pas dans un groupe de droite.

Aujourd’hui on a une UE dont le parlement entérine globalement les décisions de la commission et a la possibilité de voter des résolutions mais n’a pas l’initiative législative. Comment vois-tu cette contrainte dans une échéance qui puisse répondre à l’urgence sociale, environnementale, démocratique.

D’abord si Nouvelle Donne a des députés européens on essayera d’être assez actifs, d’avoir des arguments et d’aller rencontrer des gens, pas seulement dans l’hémicycle, les salariés allemands, polonais… pour dire qu’on a tout intérêt à réguler pour de vrai. Jaurès disait que la politique ce sont des choses simples que l’on répète simplement jusqu’à user le doute comme on fatigue la salade. Est-ce qu’on dit aux salariés allemands, aux retraités allemands « Est-ce que vous voulez continuer à être dans l’austérité ? » parce qu’en Allemagne il y a des grèves quasiment toutes les semaines dans les hôpitaux parce que les médecins et les infirmières n’ont pas d’argent, à Berlin ou ailleurs. On leur dit ; « Attendez, il y a une autre possibilité. » Si on créé un impôt européen sur les bénéfices, on pourrait très bien se financer autrement et l’Allemagne gagnerait chaque année 25 milliards et la France chaque année 21 milliards. Si on explique la première fois trop vite les gens ne vont pas accrocher, mais si on fait une campagne avec les moyens des députés européens, on peut obtenir des choses. Sur l’eau il y a eu des initiatives citoyennes qui font que les lobbys ont reculé. Ça c’est une action possible au niveau européen.

Encore une fois, c’est en s’adressant à l’intelligence des citoyens et pas en restant dans les accords d’appareils au parlement qu’on fera avancer les choses. Mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi que la France tape du poing sur la table, comme Thatcher l’a fait avec « I want my money back ». Le but est de provoquer la contre-révolution néo-libérale. Est-ce qu’on est capable de faire un bras de fer ? De dire par exemple qu’il n’y aura plus aucun nouveau traité s’il n’est pas approuvé par référendum, dans chacun de nos pays, le même jour.

Ça rejoint donc, contrairement à ce que tu disais tout à l’heure la position du FdG.

Simplement, notre façon de le dire est différente. Le dernier article que j’ai fait s’appelait « Entschuldigung » où je disais : « Désolé, si l’on est dans cette situation en Europe c’est que depuis 20 ans, les dirigeants français de droite comme de gauche ne veulent jamais de débat sur l’Europe politique ». Doit-on en permanence insulter les Allemands ou est-on capables de dire pardon, on a déconné, mais ne soyons pas naïfs, il n’y aura pas d’Europe politique s’il n’y a pas d’abord un traité social. On le dit sans agressivité. Soit on s’en sort tous ensemble soit on va dans le mur. Il y a une façon de faire dans la diplomatie. Quand Jean-Luc Mélenchon explique qu’il faut faire deux zones monétaires, une où il y aura la France et une où il y aura l’Allemagne, concrètement ça veut dire qu’on fait péter l’axe franco-allemand donc il n’y aura jamais d’Europe politique. Si on crée deux zones monétaires, l’Espagne crève et l’Italie s’écroule sous le poids de la dette.

Comme le disait Castoriadis, le système profite à 5% des gens et 80% aspirent à le changer.Nous par exemple on dit que s’il n’y a pas une Europe vraiment démocratique, vraiment sociale, on arrête de payer notre part du budget. Ce n’est pas encore officiel mais je pense que ce sera notre position. On fait un bras de fer, de même que De Gaulle a pratiqué la chaise vide, de même que Thatcher a tapé du poing sur la table, il faut se battre. Comme le disait Castoriadis, le système profite à 5% des gens et 80% aspirent à le changer.

Mais globalement, si on regarde la Zone Euro, l’Allemagne est le pays qui a le plus profité des déséquilibres de la monnaie.

L’Allemagne ce n’est pas tous les Allemands. Est-ce qu’on est capable de s’adresser aux salariés ? Quand on explique que Merkel est nulle et qu’elle est là, pour défendre les retraités allemands, à chaque fois on lui fait gagner trois points dans les sondages. Quand dans la même semaine les socialistes français critiquent Merkel et que François Hollande fait l’éloge de Hartz IV, ce n’est pas très cohérent comme stratégie. Est-ce qu’on ne peut pas dire plutôt que la crise vient des inégalités, il faut tous, en Allemagne comme en France, qu’on remonte la part des salaires et tous qu’on lutte contre la précarité.

Néanmoins, la structure des retraites allemandes pose un problème.

Oui, ils ont une démographie vieillissante mais ils ont eu 400 000 migrants l’an dernier donc les choses bougent aussi. Je comprends que le peuple allemand n’ait pas envie de payer.

On les a laissé payer la réunification, avec Hartz IV c’est moins 7% sur les salaires, quand on leur dit que eux, salariés, vont devoir payer pour les Grecs qu’on leur présente comme de grosses feignasses, ils n’ont pas forcément envie. Au lieu d’opposer les peuples, au lieu de dire aux salariés allemands qu’ils vont payer pour les salariés grecs, et tout faire pour que les peuples s’engueulent entre eux, on peut dire qu’ensemble on va créer un impôt sur les bénéfices, ensemble on va mettre en place une vraie taxe Tobin. Quand on voit que la part des salaires a baissé de dix points dans tous nos pays et plutôt de douze en Allemagne, ça veut dire qu’il y a 150% du PIB en trente ans qui sont partis vers les marchés financiers. Est-ce qu’on s’engueule entre le peuple allemand et le peuple grec pour savoir qui va payer ou est-ce qu’on se met ensemble pour récupérer une partie des 150% du PIB qui sont partis ? En terme de stratégie politique, c’est ça l’enjeu.

La question du protectionnisme, c’est une partie de la solution pour vous ?

On explique que pendant 30 ans ça n’a marché que parce qu’il y avait les accords de Philadelphie. Avant Bretton Woods, la première chose que fait Roosevelt et les autres qui ont connu la crise de 29, c’est de convoquer la conférence de Philadelphie qui dit « priorité à la justice sociale, le travail n’est pas une marchandise. » Que dans chaque pays et dans le commerce mondial, il faut des règles sur le temps de travail, sur le salaire minimum, sur la retraite et sur l’équilibre capital-travail. Le texte est magnifique. Ça tient en trois pages. Il faudrait l’actualiser avec les questions d’énergie et de climat, mais sinon, il y avait déjà le souhait de faire respecter des règles sociales. C’est ça qu’il faut remettre en place. Et donc, le protectionnisme, ce n’est pas un mot sale, mais c’est comme le cholestérol et la compétitivité, il y a le bon et le mauvais. (Vous auriez pu lui glisser la blague du bon et du mauvais chasseur) Le protectionnisme agressif, sachant que la Chine est déjà à 20% de chômage, que la bulle immobilière est en train de péter et qu’ils viennent d’annoncer qu’ils doublaient leur budget militaire, si l’Europe dit en plus, demain on n’achète plus vos produits, c’est comme gratter une allumette sur une poudrière. Ça fait tout péter et on peut avoir un conflit majeur en Asie d’ici un an ou deux.

Ce que nous disons, c’est qu’il fait dire à la Chine « Vous vous moquez de nous, vous avez signé 22 conventions sociales, la semaine de 44 heures, la journée de 8 heures, le droit à un salaire décent, le droit à un logement décent… et c’est comme ça que vous êtes rentrés à l’OMC. L’Europe est votre premier client, on vous donne trois ans pour les respecter. Et si ce n’est pas le cas, on enverra des gens du BIT ou des gens de l’Europe pour contrôler vos conditions de travail, de production, de pollution de l’eau… et l’Europe taxera vos produits entrants si vous ne respectez pas ces règles. Et le fruit de la taxe sera un impôt qui sera à la disposition des salariés chinois, cet argent leur est dû. »

Mais on va plutôt dans l’autre sens en ce moment avec le traité de libre-échange avec les USA par exemple.

Bien sûr et c’est scandaleux. De même quand on les voit tous aller en Chine pour apporter un marché pour Areva, pour Bouygues ou pour une nouvelle ligne de PSA, c’est juste indécent. Encore une fois, nous sommes la première puissance économique mondiale, nous sommes le premier client de la Chine donc on a une capacité de négociation. Au lieu de faire des courbettes pour essayer de vendre une centrale nucléaire, on devrait plutôt dire à la Chine « vous avez trois ans pour respecter ces règles sociales ».

Le problème c’est pas le Made in France, le problème c’est le Made in Social, on veut en France, en Pologne, en Chine, qu’il y ait des règles sociales. Ça a marché pendant trente ans. C’est une question de volonté politique.

 

Le site de Nouvelle Donne est ici. Tu pourras y consulter leurs propositions, leurs graphiques et voir la vraie tête de Pierre.
 

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6 avis sur “Rencontre avec Pierre Larrouturou

  1. politeeks

    Je ne peux que LIKER cette Interview et vous féliciter surtout pour la transcription vu que PL est un bavard .

    Vous voyez rien de « révolutionnaire » la dedans , juste l’envie de prendre les leviers existants et de les employer (cf l’ idée sur le BCE) , d’employer des mots de tous les jours que tout le monde comprend, pas de dialectique ou de wording militant .. Juste des mots pour essayer de convaincre des gens sans insulter leurs choix passés ou d’actuels andouilles.

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  2. O410chris

    MERCI pour votre article, lecture aisée,et les arguments sont pertinents -je suis assez intéressée..ECOLOGISTE DE SENSIBILTE, je partage un grand nombre des arguments de ce projet, étant membre du Collectif ROOSEVELT, depuis 2012. A SUIVRE..

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  3. Seb

    Je l’ai touité, j’ai aimé, suite à l’émission du Ruquier (en direct s’il te plaît), trouver une autre source sur le sujet.
    Je suis servi et le bonhomme n’est pas inintéressant.

    J’adore cette phrase : « on a l’impression que le jeu c’est d’arriver dans la tombe avant le voisin. » Chez Ruquier, ça aurait fait floc (effet flaque).

    Toujours chez Ruquier, parlant des écarts de salaires, le monsieur me dit qu’il faut aller de 1 à 50 (pour ne pas froisser le suisse de ce que je comprends). Ici, interlocuteur oblige, je suppose, il ose tout de même le 30 (à l’heure?). Je ne m’atermoierai pas en insultes.

    Enfin, Notre Dame l’Europe sociale revient avant chaque élection européenne dans la bouche du PS, je ne m’étonne donc pas de la continuité du discours et j’y crois à fond puisqu’on est majoritaire grâce à toi mon coco.

    Désolé, je me suis emporté, j’ai oublié de comprendre ce qu’était Hartz IV, je cours m’y employer.

    Merci pour cet article révélateur.
    « J’omets une virgule » disait l’africain.

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  4. @yan__el

    Merci à vous pour ce papier. Je retiens une volonté ferme de remettre en cause l’orientation politique € de ces 30 dernières années. Simplement le terme « coût du travail » est employé 3 fois. Ce qui me laisse craindre un « Montebourgisme ».

    De plus, il élude la question qui me semble fondamentale, la détention des moyens de production. Pourquoi n’a-t-il pas vu que si des libéraux sont nés il y a 30 ans c’est bien parce qu’ils poussaient sur un terreau fertile ?

    Une nuance de plus dans l’éventail larges des propositions politiques.

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  5. Johnathan R. Razorback

    Ce sont de simples opportunistes comme il s’en balade pas mal à la gauche immédiate du PS. Des réformistes en manque d’État-Providence dont ils ne comprennent pas les raisons historiques d’apparition (gaullisme social, etc). Lobotomisé par la novlangue libérale (« coût du capital »), etc. Et la référence à Castoriadis c’est vraiment du name dropping. Lui la voulait, la Révolution.

    Les questions posées montrent bien la désillusion croissante…

    Des gens qui qualifient d' »inexplicable » la politique du gouvernement manquent de cours de marxisme niveau 1ère année…

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  6. Aurélien Terrassier

    Avec des stars médiatiques comme Gaccio qui soutient Dieudonné, des élus venus du Modem, du PS, d’EELV du Fdg, inviter le gourou des conspirationnistes Etienne Chouard à leur université d’été, certains militants pour qui les débats sur les Ogm et le gaz de schiste sont interdits sans compter des propositions totalement démagogiques comme le salaire maximum piqué au Fdg, un traité européen de 11 pays (rien à envier à ce que propose Wauquiez avec 6 pays) ou encore les 32 heures font de la Nouvelle Donne le parti des arrivistes bobos et autres stars qui font néanmoins partis du système du fait de leur visibilité médiatique et leur vide idéologique qui fait le jeu de l’extrême droite, du Fn en particulier. Malgré certaines bonnes idées comme le revenu de base ou encore la non professionnalisation de la vie politique, rien de neuf, juste de l’idéologie bobo de centre-gauche.

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