Pochette-surprise
Je me suis subitement souvenu qu’il y a fort longtemps, j’avais rédigé un billet de blog (en anglais) sur les goûts musicaux, dans lequel j’opposais les auditeurs qui plébiscitent le confort du familier et du prévisible à ceux qui préfèrent l’inattendu, qui aiment être surpris. Il suffit de regarder les ventes d’albums depuis toujours pour se convaincre que les premiers sont très largement majoritaires, ce qui m’a toujours attristé, car j’ai la faiblesse de penser que l’invention, l’originalité, la créativité sont des vertus qui mériteraient d’être davantage récompensées.
Verdi is the Puccini of music.—Igor Stravinsky
En outre, je l’admets bien volontiers, je me fais chier comme un rat mort lorsque j’écoute de la musique prévisible, qui répond avec professionnalisme à un cahier des charges précis, et je chavire lorsque je suis surpris, amusé ou bousculé. D’ailleurs, lorsque faute de temps ou d’inspiration, j’écris une chanson à deux balles et trois accords (ou l’inverse), il faut qu’elle comporte au moins un détail qui m’amuse ou m’enchante ou me surprenne un tant soit peu, sans quoi elle rejoint illico le cimetière de mes chansons inachevées.
Or, à l’époque où j’ai écrit ce billet, je faisais de la musique à six mains via Internet avec deux compères situés en Amérique du Nord. À sa lecture, l’un d’eux m’a envoyé une citation, extraite d’un livre dont je n’ai toujours pas très bien saisi le thème, et qui m’a interpellé quelque part (la V.F. suit) :
To be prepared against surprise is to be trained. To be prepared for surprise is to be educated.
Education discovers an increasing richness in the past, because it sees what is unfinished there.
Training regards the past as finished and the future as to be finished.
Education leads toward a continuing self-discovery; training leads toward final self definition.
Training repeats a completed past in the future. Education continues an unfinished past into the future.
—James P. Carse, « Finite and Infinite Games: A Vision of Life as Play and Possibility »
Ce qui donne traduit à la hache (pas facile de traduire ce genre formules compactes et péremptoires à l’américaine) :
Être formé, c’est être paré en cas de surprise. Être éduqué, c’est être préparé à la surprise.
L’éducation permet de déceler de plus en plus de richesse dans le passé, en y percevant l’inachevé.
La formation considère que le passé est accompli et que le futur est à accomplir.
L’éducation tend vers une découverte de soi permanente, tandis que la formation tend vers une définition de soi absolue.
La formation reproduit un passé accompli dans le futur. L’éducation projette un passé inachevé vers l’avenir.
Drôle de citation, mais qui me chatouille malgré tout le neurone… Cette notion de formatage (de bas niveau ?) derrière la formation, de fermeture, de circonscription, à laquelle il conviendrait d’opposer un effort délibéré pour élargir ses horizons, pour accepter et embrasser l’inconnu, l’inachevé, me paraît étrangement d’actualité…
Tu m’auras vu venir avec mes gros sabots.
Résumons : c’est la merde.
La machine à concentrer les richesses tourne à plein régime. Les politiques, économistes et éditocrates orthodoxes n’en finissent plus de bouffer leurs chapeaux (sans se l’admettre, évidemment).
Je suis tout sauf un casse-cou. Jamais tu ne me feras sauter à l’élastique, ou même monter dans des montagnes russes. Mais je pense qu’à moins d’habiter au 3e étage de l’immeuble, tu n’as absolument plus rien à perdre à essayer un #PlanB, et tout à perdre à te cramponner aux vilains mollets de cette vieille bique de TINA (ou à te réfugier dans un passé nauséabond, puisque le FN ou ses idées ne constituent aucunement un #PlanB, mais ne sont que du vomi réchauffé).
Et pourtant, je ne sais pas si tu es formé ou formaté ou éduqué ou autodidacte (mon cas), mais en l’occurrence, tu te cramponnes.
Il suffit qu’un suppôt de #PlanB dise une connerie, une seule, même dans un océan de trucs pas cons voire intelligents, pour que tu jettes le bébé avec l’eau du bain. Comme si le statu quo qui nous envoie dans le mur en klaxonnant était préférable.
Comme si tu préférais le confort du familier à l’inconfort de l’imprévisible.
Comme si tu préférais la certitude du fini à l’incertitude de l’inachevé.
Comme si tu préférais crever en connaissance de cause plutôt que risquer de souffrir d’un mal qui n’aurait pas été anticipé, quitte à survivre.
(Tu ne serais pas un peu un control-freak, par hasard ?)
Comme si tu préférais Mozart à Schubert, Céline Dion à Laurie Anderson, Johnny Halliday à Frank Zappa ou Patrick Bruel à Robert Wyatt.
Comme si les modulations aussi acrobatiques que bouleversantes de Franz étaient plus éreintantes que la jolie dentelle de Bruges tissée par Wolfgang pour décorer le temps qui passe, comme si Laurie la bricoleuse poétesse tout en retenue n’était pas infiniment plus émouvante que Céline la reine braillarde du sentimentalisme en botox hollywoodien, comme si Frank l’iconoclaste et idiosyncratique métisseur musical touche-à-tout de génie prenait davantage la tête que les beuglements de Johnny le #facepalm sur pattes qui humilie la France dans le monde entier, comme si Robert le vieux Père Noël paraplégique à la déchirante voix d’ange déchu était moins beau que Patrick le pipole parisien pape du poker.
Après tout, pourquoi pas. Les goûts et les couleurs, il paraît que ça ne se discute pas.
Mais imagine que tu partes vivre pour toujours sur une île déserte. Tu n’as le droit d’emporter qu’un seul disque, et on te donne le choix entre un truc bien naze mais que tu connais bien, qui te rappellera des souvenirs bons ou mauvais, et un truc bien zarb dont tu n’as jamais entendu parler.
Pour moi, y’a pas photo. Bien naze, non merci. Je prend le risque du bien zarb, même si je risque de tomber sur ça (OMFG !).
Et toi ? Tu choisis quoi ?
There’s an old joke. Two elderly women are at a Catskills mountain resort, and one of ’em says: « Boy, the food at this place is really terrible. » The other one says, « Yeah, I know, and such … small portions. »
Ça me rappelle cette vieille blague. Deux retraitées sont dans un village de vacances dans la chaîne des Catskills, et la première s’exclame : « Dis donc, la nourriture est vraiment épouvantable ici, » et l’autre lui répond, « Oui, je sais, et les portions sont minuscules. »
—Woody Allen, « Annie Hall ».
BONUS :
Mots-clés : LeFeuilleton, Psychologie