Babordages

Pendant qu'ils ne cherchaient pas d'alternative, nous pensions à un #PlanB.

Pas possible

Publié le par dans avec 8 avis

forevertoremain_2015-mars-17

C’est la panique.

Tout le monde a compris que le monde marche sur la tête et court à sa perte.

Qu’on va tous mourir dans d’horribles souffrances : de misère, de pollution, des conséquences du réchauffement climatique, dans des attentats terroristes, frappés par de nouvelles maladies orphelines, à cause des perturbateurs endocriniens ou des superbactéries résistantes aux antibiotiques, tout ça parce que le capitalisme néolibéral financier et prédateur s’efforce de rémunérer au mieux les actionnaires à court terme, et il aurait tort de se gêner, puisqu’il n’a plus d’ennemis (véritables) et tant pis pour les gueux.

Depuis nos premiers billets, on plaide pour un renversement de la table, au lieu de quoi #LesGens, privés de repères, les horizons bouchés, s’y cramponnent à la table, sous la table même, quoi qu’ils en pensent, car ils y trouvent un abri, certes précaire, mais un abri tout de même. Ils se replient ainsi sur des valeurs qui rassurent, qui sont des valeurs qui ont survécu aux aléas du temps, qui sont par définition des valeurs qui ont de profondes racines dans le passé, qui sont anciennes, antédiluviennes, moyenâgeuses, donc réactionnaires et conservatrices. Dieu. La famille patriarcale traditionnelle. La nation. Le drapeau. Le sabre et le goupillon. L’uniforme à l’école. Le Châtiment corporel. Les Croisades. Mireille Mathieu. Toutes les pires conneries, quoi.

Et quoi qu’elle en pense, la gauche (celle qui est de gauche) n’est pas épargnée par ce phénomène — pas que le stalinisme fasse un come-back tonitruant — car elle est bien sous la table, elle aussi.

L’universalisme et l’internationalisme, qui étaient tout de même des piliers de la pensée et de l’aspiration de la gauche sont plus ou moins morts et enterrés. Le premier est devenu un gros mot, puisqu’à défaut de vouloir renverser la table, les uns et les autres se disputent les pieds auxquels se cramponner en fonction de leurs héritages ethniques et culturels, de leur orientation sexuelle et/ou des coordonnées GPS de leur lieu de naissance. Le second est lui aussi devenu un gros mot, puisqu’on le confond, ce qui est bien compréhensible, avec sa seule forme avérée : la mondialisation (économique et financière) aux conséquences si dévastatrices.

Les #PlansB, comme on ne cesse de te le répéter depuis bientôt 2 ans, cher lecteur, foisonnent à foison. On sait très bien ce qu’on devrait faire. À tous les niveaux. Mais on ne le fait pas, parce qu’on est cramponnés sous la table, dans une interminable partie de « toi d’abord. Non, toi d’abord » (qu’est-ce qu’on se fait chier sous la table). Car en réalité, syndrome monarchique français oblige, on attend que papa arrive et prenne les bonnes décisions à notre place, ce qui se produira d’autant moins que l’on ne fait qu’élire des papas aux allures et aux discours qui rassurent parce que familiers, surannés, délicieusement has-been, papas qui ont donc fatalement intégré depuis belle lurette l’inévitabilité de la table, et n’ont aucune velléité, voire aucun intérêt, à la déplacer d’un iota, et encore moins à la foutre en l’air.

 
La parole du moindre blogueur ou twittos ou youtubeur influent, souvent sorti de nulle part, a aujourd’hui une portée bien supérieure à celle des influents culturels et politiques d’antan (si on compte le nombre de cerveaux qui reçoivent, au moins superficiellement, leur message). Il n’a jamais été aussi facile de se fédérer, grâce aux réseaux (les cercles Podemos utilisent tout connement Reddit et son système de vote sur les billets et les commentaires associés). Mais ici, en France, à l’exception des bourrins qui y bourrinent allègrement, on utilise les réseaux pour commenter les commentateurs, pour briller en bonne compagnie en faisant de fulgurants mots d’esprit, assis sur ses mains, parce que fondamentalement, pour un Français, penser, c’est noble, et faire, c’est sale.

Et puis de toutes les façons, ça ne sert à rien.

Boycotter, des marques, des médias toxiques ? Ça ne sert à rien. Ce n’est pas de la politique (et puis c’est trop fun de les déconstruire et de s’en étrangler). Voter pour des gens bien et intègres ? Ça ne sert à rien, ils ne seront jamais élus (et puis les gens intègres, faut s’en méfier. Ce sont des chieurs chiants qui manquent de panache). L’écosocialisme ? Encore un truc qui va me culpabiliser d’avoir une bagnole et un ziphone. Le salaire à vie ? TL;DR. Un #Syriza à la française ? Pas possible, problèmes d’appareils, problèmes d’égo. S’attaquer aux causes (le néolibéralisme) au lieu de gérer les conséquences (les batailles de turf sous la table) ? Tropisme de dominant qui ne vit pas l’oppression et la discrimination au quotidien.

Tu la sens ma grosse fatigue ?

Pour paraphraser Emmanuel Macron, l’ex-banquier-pute, quand on veut, on peut. Et en l’occurrence, je crois qu’il a raison. Si on voulait renverser la table, on le pourrait. On a le nombre, l’intelligence, les outils, les moyens de forger un discours pertinent et audible, de le faire entendre, les moyens de ringardiser les discours dominants, y compris ceux du FN. Comment ? Pourquoi tu me poses la question à moi ? Pose-la-toi à toi ! Et peu importe comment. Si je te disais comme Vlad ou Fidel ou Gengis Khan ou Graeber ou Stiegler ou Naomi Klein ou 350 ou Podemos ou Janluk Skywalker, tu me dirais de toutes les façons que ce n’est pas possible parce que — oh ! Pascale Clark !

Parce que la seule chose qui manque chez ceux qui pourraient renverser la table, c’est à dire toi, moi, nous, qui rédigeons ou lisons des blogs gaucho-rigolos, c’est la volonté de le faire, qui serait suivie par les efforts d’imagination et d’organisation nécessaires pour y parvenir. Je le dis sans vouloir un instant manquer de respect à ceux qui ont eu (et comble de courage et de persévérance, ont encore) une telle volonté, et qui ont parfois obtenu des débuts de résultats encourageants, mais qui sont tombés sur le champ de bataille des guerres intestines dans l’indifférence générale d’un peuple de gauche qui drape trop souvent sa fainéantise dans un àquoibonisme de bon aloi.

Ce qui se défend aisément. La vie est trop courte. Sauf que pendant ce temps, du côté obscur de la force, on boulonne les pieds de la table au plancher. Et si ça continue comme ça, on devra bientôt montrer patte blanche pour s’y asseoir.

Bref, en un mot comme en 1081, fous-toi de ma gueule si tu veux, moque-toi de ma ridicule méthode Coué, mais ne le fais pas trop bruyamment s’il te plaît, je dors.

Réveille-moi quand tu seras décidé à te sortir les doigts du cul.

 

À propos de sknob

Franglophone songwriter, cartoonist, translator, geek, #ronchonchon. VieuxSage, déjà blogueur au XXe siècle, je ne supporte ni l'injustice, ni la mauvaise foi, ni les gens qui réfléchissent avec le cerveau d’autrui, ni les betteraves. En revanche, j'ai un peu le melon depuis que j'ai publié un billet sur le blog de Paul Jorion. Mes camarades m'ont à l'œil.

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8 avis sur “Pas possible

  1. matiu

    Bravo, comme d’hab ;))
    A propos de Reddit, il y a un sub français de la gauche de gauche ? Je n’ai pas trouvé … (et je ne comprends pas l’espagnol)
    Parce que j’aime bien Twitter mais j’aimerai bien des choses un peu plus riche que des commentaires en 140 signes …

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  2. Un partageux

    « Tropisme de dominant qui ne vit pas l’oppression et la discrimination au quotidien. »
    Ça me semble être LE nœud qui coince. Tous ces gens de gauche qui, sans forcément avoir une situation idyllique, n’en ont pas moins un salaire confortable et garanti, qui ne connaissent ni les engelures des logements sans chauffage, ni l’angoisse des fins de mois, ni la hantise d’un taf à trouver coûte que coûte, ni la peur du petit chef, ni, ni, ni… Ceux qui ont les moyens financiers, intellectuels et temporels pour organiser préfèrent les discussions byzantines ou les combats abstraits. Ce n’est pas le gars aux abois ou la mère seule qui va lancer le mouvement efficace pour ceci ou cela. Hélas.

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  3. Guillaume

    Se changer soi-même, que ce soit dans son comportement ou dans sa façon de voir les choses, c’est déjà beaucoup mais ça reste insuffisant.

    Mais essayer de faire entendre « raison » autour de soi est parfois bien éprouvant. Les difficultés à joindre les deux bouts des uns, l’acrimonie stérile des autres sont autant d’obstacles qui empêchent d’entendre tout argument, aussi fondé soit-il.

    Alors merci pour le travail accompli ici. Ca redonne du peps, ça met du baume au coeur.

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  4. Le_M_Poireau

    très bien.
    J’étais estomaqué l’autre fois parce que j’expliquais ma manière de vivre à un copain de gauche, c’est à dire que j’essaie d’acheter local, de boycotter le plus souvent possible la grande distribution, etc. et sa réaction a été : et tu comptes changer le monde comme ça ?
    Ça m’a attristé de voir un tel manque de volonté d’action.

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  5. Logali

    J’ai connu un homme bien, pas mieux pas pire que le meilleur des braves hommes qui vous regarde avec ce regard de pure tendresse indulgente, qui avait coutume de dire : « Quand on se sort le doigt du cul, faut pas le porter au nez ». C’est bien ça le truc. S’envisager n’est le courage premier. Miroir mon bon miroir, avatar mon héros… Je réseaute donc j’existe…. ce bon vieux syndrome du passager clandestin de la foule muette qui attend dans l’ombre de profiter de ce qu’une minorité agissante va se griller pour lui.
    Bien sombre billet. Je préfère garder l’idée que la génération qui vient est bien mieux informée, bien moins craintive, bien plus creative, participative, collaborative, nuancée, tolérante, mais déterminée que la mienne enferrée qu’elle est dans ses égoïsmes mesquins. Autrement dit Sknob, puisque je te crois de la même génération que moi, faisons leur confiance avant de devenir de vieux cons.

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  6. Logali

    Ça me fait penser à autre chose … C’est vrai que c’est étonnant cette propension qu’ont les hommes au pouvoir de parler pour nous sans jamais réussir à se réformer eux mêmes. Alors un père providentiel, faut pas rêver. Autant se remonter les manches.

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