L’indifférence
Le 12 avril, je rencontre une amie, de passage à Paris.
— Vous allez manifester ? me lance-t-elle. Question rhétorique. Elle sait très bien que j’y vais.
— Bien sûr, et vous ?
— Bof, on a une expo, me dit-elle dans un haussement d’épaules. De toute façon, à quoi ça sert ? Est-ce que ça va changer quelque chose ? Franchement…
Évidemment, en apparence ça ne changera rien. Ce soir, tout le monde rentrera chez soi et la politique du gouvernement restera inflexible sur sa ligne libérale.
— L’indifférence, c’est évident, est un puissant moteur de la transformation sociale, je lui réponds pour la provoquer.
— Pfff… Ça va hein. Ce n’est pas de l’indifférence. On n’a pas le choix de toute façon. Tu préférerais la droite au pouvoir ? Écoute, il y a une super expo que je voudrais voir. Je préfère consacrer mon temps à ça. Au moins, c’est concret, c’est réel.
La conversation tourne court.
Bof, on a une expo.
Je retourne dans ma tête cette petite phrase anodine. Je ne lui en veux pas particulièrement. Mais je ne peux m’empêcher de penser à mes amis militants, à ceux qui sacrifient leurs soirées, leurs week-ends, leur vie de famille. Sans aucune assurance que leurs actions auront in fine une influence sur le cours de l’histoire. S’il n’y avait l’urgence de la nécessité, sûr qu’ils préféreraient aller à une expo ou faire un pique-nique.
Souvent, je me demande pourquoi les militants sont militants, pourquoi certains choisissent de prendre le parti de l’engagement tandis que la plupart prennent celui de l’indifférence.
Outre les déterminants sociaux, les histoires individuelles, prendre parti c’est risquer de faire des erreurs. Le parti de l’indifférence est bien plus confortable. Il forme une illusion bien ourlée de neutralité.
Oh, tu sais moi, la politique, ça ne m’intéresse pas trop.
Mais tu n’as pas le choix. Parce qu’elle s’intéresse à toi, qu’elle est au cœur de la vie même, parce qu’elle façonne tes conditions d’existence. Ne pas y prendre part, c’est accepter le « réel » tel qu’il nous est présenté à longueur de JT et d’éditoriaux. Comme le dit si bien Gramsci, l’indifférence « c’est l’étang qui entoure la vieille ville et la défend mieux que les murs les plus solides ».
Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux.
Étienne de la Boétie
Ceux qui imposent le « réel » sont certes puissants, mais peu nombreux. Si une grande partie de la population veut changer de modèle, le modèle changera. Si, rêvons un peu, demain, 5 millions de personnes descendent dans la rue, commencent à s’organiser, il est fort probable que le débat public et les rapports de force changent de nature.
Certes, un changement radical, de régime, de politique, ne se fera pas sans heurt. Les forces conservatrices sont puissantes et n’auraient rien à perdre. Mais avant de les attaquer, il nous faut vaincre un autre ennemi liquide et visqueux, qui se reconnaît au haussement d’épaules, au regard qui se détourne.
Ce qui arrive, arrive non pas parce que certains veulent qu’il arrive, mais parce que la majorité abdique sa volonté, laisse faire, laisse se grouper les nœuds qu’ensuite seule l’épée pourra couper, laisse promulguer les lois qu’ensuite seule la révolte fera abroger, laisse aller au pouvoir les hommes qu’ensuite seul un mutinement pourra renverser.
Antonio Gramsci
Mots-clés : Gramsci
Bah c’est symptomatique de ce à quoi le neolibéralisme conduit en termes de comportement personnel. Pour Hayek, l’expression de la démocratie c’est pas l’engagement politique, nuisible, mais le faite de faire un choix sur le marché, en tant que consommateur. C’est ce que font ces gens qui choisissent de pas s’intéresser à la politique, en pensant que leur action n’a pas de pouvoir.
C’est exactement ce que souhaitaient les penseurs néolibéraux des années 30 à 60, pour qui la souveraineté populaire était un frein à la démocratie du marché : le politique devait devenir impuissant sur les conditions de vie concrètes et se borner à fixer les règles générales du marché, afin que la vie des individus ne se règle que par des choix sur le marché.
Nous y sommes.
A ceux qui croient avoir perdus toutes les batailles, je dis que le simple fait que vous soyez restés vous-mêmes est en soi une victoire.
Je comprends ton amie —> http://youtu.be/xPMPPaBPsyo (Frédéric Lordon).
La sociologie a théorisé ce comportement: c’est la théorie du passager clandestin…
Gramsci rejoint Einstein ou réciproquement.
« Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui regardent et laissent faire. » Albert Einstein
Sur twitter, nombreux sont ceux qui revendiquent (des twittos zinfluents notamment) leur abstentionnisme systématique. (parti largement majoritaire en France et autres).
Constatant que :
1- J’ai tendance à considérer les abstentionnistes comme des zindifférents.
2- je suis d’accord avec JohnGwendal : « C’est exactement ce que souhaitent les penseurs néolibéraux ».
Je défends la thèse suivante: les politiciens|médias néolibéraux incitent subtilement à l’abstentionnisme. (et toi|vous ?)
@babordages Pourrais|souhaiterais tu stp m’écrire un billet sur l’abstentionnisme ?
Amicalement , CJ
Comme le dit bien John Gwendal cette société se proposait de remplacer le citoyen par le consommateur en proposant l’hédonisme pour les masses.
Mais avec la chute du communisme, l’Oligarchie n’a plus à séduire. Elle accroit la pression sur les salariés et pousse ses marges brutes, jusqu’à 60% chez #Apple
De sorte que la promesse de l’hédonisme pour les masses qui continue d’être la promesse libérale ne peut plus être tenu et encore moins dans les pays tiers.
A ce stade, il convient de dénoncer des coupables, les empêcheurs d’hédoniser en paix. Pour Onfray c’est Islam comme je le souligne dans mon dernier billet et pour les autres, l’Islam plus les gauchistes, les militants.
Tes amis consommateurs ne sont pas indifférents, ils pensent que peut-être le système a raison et que TOI militant, tu es une des causes du problème
alors ne sachant choisir, ils passent au large.