Light my fire

Le suicide reste la solution. C’est triste. À qui profite le crime ?

Il arrive parfois que des informations ou sujets se télescopent. Qu’ils se répondent en offrant des pistes de réflexion. D’un côté, spectateur saisi d’effroi devant le webdoc de Samuel Bollendorff et Olivia Colo, le Grand Incendie qui traite des immolations de travailleurs, et de l’autre spectateur curieux d’Arrêt sur Images, dont le sujet était le revenu de base. Le second étant peut-être une solution aux conséquences du premier.

Dans le ASI dont il est question, à plusieurs reprises, Bernard Friot revient sur la différence que nous devrions faire entre « le travail » et « l’emploi ». Du premier qui serait source d’épanouissement personnel et du second qui serait un déni de l’Humain. Il souligne que le capitalisme nous aurait conduit du premier au second.

Cette distinction, je ne l’avais pas faite avant de l’entendre. J’en étais restée à l’étymologie du mot travail : « tripalium : instrument de contrainte ou de torture » et celle d’emploi : «  implicare : impliquer ». J’en comprends le sens philosophique dans la définition de Friot mais je bute sur le rappel constant et négatif que le mot travail convoque dans ma réflexion…

Cette différence de sens qui m’avait attrapé dans les paroles de Bernard Friot s’est quelque peu diluée après avoir revu le webdocumentaire de Samuel Bollendorff et Olivia Colo.

Ici il n’est nullement question de savoir qui, du travail ou de l’emploi, est responsable d’une telle détresse mais bien d’entendre et de voir la violence faite aux Hommes au nom d’une rentabilité qui ne dit pas son nom.

Une personne s’immole tous les 15 jours en place publique. Dès les premières images, c’est cette réalité qui nous heurte. Mettre le feu à son corps. Découper les gestes. Ouvrir le bidon d’essence. S’en recouvrir. Craquer l’allumette. La flamme.

Ma mémoire conserve le nom de Yan Palach, de Mohamed Bouazizi. L’immolation était pour moi le geste ultime et désespéré, du citoyen, seul et faible, face au pouvoir. Il était politique. Mettre toute la lumière, fût-elle sur un corps, au vu et au su de tous, pour dénoncer l’insupportable, l’intenable, l’inacceptable.

Qu’un acte d’une telle violence envers soi-même soit aujourd’hui une réponse à la souffrance au travail est effroyable.

Didier Lombard, de sinistre mémoire, ex-PDG de France Telecom et Commandeur de la Légion d’Honneur en avril 2007, dans une note interne de 2006 à ses cadres disait ceci :

Il faut qu’on sorte de la position mère-poule, les 22 000 suppressions de postes, je les ferai, d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte.

Entre 2008 et 2009, il y a eu 35 suicides de salariés chez France Telecom. Lors d’une conférence de presse mémorable (et qui lui a valu d’être mis en examen pour harcèlement moral) il avait souhaité mettre « un point d’arrêt à cette mode du suicide ». Il quittera France Telecom le 24 janvier 2011. Depuis, nous n’entendons plus parler de lui.

On peut en dire autant de ceux qui ont « survécu » à ces immolations. Pas mieux du côté des proches de ceux qui sont décédés. Au-delà de leurs souffrances, ils sont aujourd’hui dans des combats juridiques, tout aussi désespérés, pour rétablir l’honneur d’un des leurs. Contre une justice, lente et inhumaine parfois. Contre la communication d’entreprise qui évoque une fragilité propice aux actes commis dont le travail ne saurait être la seule raison de vouloir en finir.

La responsabilité des méthodes de management n’est pas à démontrer. Celles-ci s’inscrivent dans une société devenue folle. De rentabilité, de productivité, de compétitivité. Dans les entreprises, dans l’Éducation Nationale et à Pôle Emploi.

L’Ex ANPE dont la fusion avec les ASSEDIC nous promettait un éden administratif se révèle une jungle tant pour les chômeurs que pour les conseillers. Face à une population à tel point fragilisée par la perte d’un emploi, la grande maison répond quotas, rendement, objectif. La directrice de l’ANPE au moment de la fusion parle de « clients demandeurs d’emploi ». Des clients…

À chaque histoire, parcours particulier, il est demandé de remplir des cases. Au désarroi et aux conséquences désastreuses pour sa vie, sa famille, qu’implique la perte de son emploi, s’ajoute l’humiliation d’un certain pouvoir à renvoyer celui devenu précaire au statut d’assisté, « cancer de la société »…

Les questions qui se posent après avoir vu « Le Grand Incendie » sont multiples. Sur ce monde qui continue à se construire, envers et contre tout, au détriment de beaucoup et surtout des plus fragiles. Sur l’absence de réponses des pouvoirs en place depuis des décennies. L’impuissance ne peut pas être la réponse.

Mi-décembre 1790, Maximilien de Robespierre évoque dans un discours une formule qui ne resurgira que 90 ans plus tard, en 1880. Depuis ce jour, nul ne peut l’ignorer. Devenue la devise de la République Française, elle orne les frontons de toutes nos mairies, dans les coins les plus reculés du pays. Depuis 134 ans, elle est la seule réponse possible, audible, acceptable.

Liberté, Égalité, Fraternité.