Le (soft) pouvoir n’est pas dans les boiseries, par @franpisunship
D’habitude, une grève à Radio France, c’est une journée.
Maussade, souvent, mais toujours solidaire, car il suffit de tourner le bouton vers les radios qu’on appelait avant « périphériques » pour se rendre compte de la crasse et du prurit idéologique qui germent entre les pubs. Mais trois semaines, on est à deux doigts de la déprime ; une déprime qui se mâtine de colère et d’un soutien indéfectible aux grévistes.
Parce qu’il n’est pas seulement question des moyens alloués à une radio de Service Public pour faire son boulot. Il s’agit en creux — un creux dont le bosselage devient de jour en jour plus saillant — d’une véritable question de société ; la nôtre, et ce qu’on veut en faire.
C’est en cela que cette lutte est exemplaire.
Reprenons notre errance matinale à la recherche de quelques menues infos, en guise d’illustration. Certains amis se sont vite étonnés de ce besoin de radio exprimé par de nombreux utilisateurs de Twitter et autre générateur d’information circulaire ; mais c’est comme le café qui s’accommode mal de l’absence de clope pour le récent sevré. L’œil torve du matin a besoin d’un paysage sonore, l’oreille curieuse du soir à besoin de voyages, de grands formats ou d’émission musicale.
Parce qu’on a beau régulièrement râler, entre trainspotters des incongruités matinales de tel ou tel chroniqueur des stations publiques, on les aime et ils nous manquent.
(Oui, même Dominique Seux et Philippe Manière. Enfin non, pas Dominique Seux et Philippe Manière)
Le premier jour, on met Europe 1. Souvenir d’enfance des autocollants au cul de la GS et de Pierre Bellemare. Ce qui marque en premier, aux oreilles habituées aux choses de la radio -en cherchant bien, je dois avoir un numéro Radio France empoussiéré pour quelques piges et des années de radio associative au compteur- c’est l’atmosphère criarde, compressée, aiguë. L’agressivité sous-jacente des infos sordides. La laideur des faits-divers crûment exposés comme sous cellophane, éclairés par les néons blafards des supermarchés qui serinent leur pub entre deux chroniques simplistes, dont l’orientation poujado-libérale ne se cache même pas.
Le second jour, on met RTL, en se rappelant que certains journalistes de Radio France disent le plus grand bien de cette matinale. Même sentiment d’agression, plus feutrée cependant. Ici, on serine le catéchisme libéral avec plus de décontraction, entre un horoscope et un jeu débile. C’est presque intéressant, sociologiquement parlant.
Mais 10 minutes.
Il s’est même trouvé un moment en voiture où une collègue, dans un moment de désespoir, est passée sur RMC info.
Bourdin a beau dire que ce n’est pas là la radio du FN, ce que j’y ai entendu ressemblait fort aux tracts chiffonnés aperçus sur les marchés. Ce n’est pas la radio qui parle : on laisse parler les gens, sans contexte, et on joue le jeu de l’info pour les publicitaires.
Le vomi froid ferait vendre, on ouvrirait le micro à la gastro-entérite.
Le troisième jour, on n’écoute plus la radio nulle part, ou alors les émissions des grévistes, en se disant qu’il faut tout faire pour que perdure l’offre d’une info sans hystérie des matinales de Marc Voinchet sur Culture, les reportages au long cours, le temps laissé à la parole voire au silence, aux fictions et aux émissions d’une semaine durant sur un sujet historique ou sur un compositeur obscur.
Bref, sur tout ce qui rend la vie moins moche et ouvre à la compréhension du monde.
C’est le dessein de la maison de la Radio, et n’en déplaise aux gestionnaires, ça n’a rien de quantifiable. Il faut lire à ce sujet la tribune de Philippe Meyer. Ce garçon sait parfois être un peu agaçant, mais c’est avant tout un vrai passionné de radio. Son texte est juste jusqu’à la dernière virgule. Ce qui se joue aujourd’hui, ce n’est pas seulement les histoires politiques entre le CSA et le gouvernement. Ce ne sont pas les factures boisées de la direction révélées par le Canard Enchaîné.
Ce qui se joue avec les orchestres de Radio France qu’on veut vendre au moins offrant comme s’il s’agissait d’un vieux bout d’autoroute, avec la mutualisation des rédactions qui tendra à taire le pluralisme ou avec le bannissement de France Musique sur Internet pour être sûr que la musique non commerciale reste dans un microcosme qui ne comprend rien aux algorithmes, c’est tout simplement une étape de plus dans la transformation de la Culture en boutique.
Tout ce qui ne se vend pas sera bradé, mis au fond du magasin, en attente d’être collé au rebut. Pas au nom de l’absence de qualité, mais sur l’autel des tableaux de bord et de ces fameux algorithmes. Sur ces petits crobards colorés qui reflètent tout sauf la réalité et permettent de trancher sur des décisions sans connaître comment fonctionne une radio.
Il y a quelques années, on nous parlait de Soft Power.
D’image de la France.
De « reconquête culturelle » dans le concert des Nations.
Nombreux sont les pays qui ont leur radio publique comme bras armé de cette politique diplomatique. La BBC gère six orchestres et une palanquée de radios thématiques. La radio allemande est l’une des plus prolixes dans la production de musique « savante » à l’instar de la Suisse… On pourrait multiplier les exemples aux Pays-Bas, en Finlande, etc.
En France ? La Cour des comptes veut se débarrasser d’orchestres alors que la Maison de la Radio vient de rénover des salles pour y jouer. Les labels sont en sommeil. On voulait fermer le bureau du jazz alors que les musiciens français s’exportent.
On rancit sur pied pour grignoter des centimes qui pourraient rapporter des liasses entières. La raison budgétaire, disent-ils. De la myopie au stade terminal.
Deux informations sont à rapprocher. Le désengagement budgétaire de l’État dans les conservatoires, laissés à la merci du désargentement des collectivités territoriales et le démantèlement programmé des orchestres de Radio France. C’est un paradigme dont la cohérence fait froid dans le dos. « Tuer un orchestre, c’est comme brûler des livres » dit ce texte formidable des grévistes de Radio France. C’est exactement cela, et ce n’est pas un point Godwin.
Souvenez-vous d’un truc : les gens de droite — et assimilés, au pouvoir — qui pleurnichent contre la dissolution des valeurs, les pertes d’identité et les repères prétendument envolés de la culture occidentale sont ceux qui vont faire crever les conservatoires et étrangler les orchestres.
L’ironie, décidément, est le pire des vitriols.
Et une photo qui n’a strictement rien à voir ou presque… Vive la radio, ce qui la font, et ceux qui jouent dedans.
Mots-clés : Billet Invité, culture
Chouette billet !
Et pour ce qui est des impressions sur les autres différentes radios que nous avons testées d’une oreille déçue, pour tenter de surmonter notre frustration … Il y a des moments où on tombe sur des choses qui nous font friser l’apoplexie !
Je recommande cette analyse détaillée d’une émission révoltante Europe 1 par Acrimed :
http://www.acrimed.org/article4635.html
Quand je pense que ces messieurs sont « classés » comme de grands journalistes, je vomis …
Malgré la nouvelle banière (Pouah) de Babordages, je ne peux pas m’empêcher de venir lire de bons textes. Je suis gourmande.
Je n’y comprends rien à ce conflit. Enfin, pas assez. Qu’est ce que c’est que ce mannequin tiré à 4 épingles dont l’empathie culturelle ressemble à celle du virus ebola : une saignée. D’où sort-il? Il est complétement formaté sur un modèle dominant de communication dont on retrouve les stigmates sur nos gouvernants. il n’y a plus d’utopie, plus d’idéaux, plus de projets autres que d’être rentable. Maigre ambition.
Je n’y comprends rien sauf à penser que là encore l’état se désengage et détourne pudiquement la tête comme s’il n’y est pour rien. On perd de vue l’utilité de l’état si la culture, la justice, la santé, l’éducation sont désertée. Dès lors, c’est effectivement un modèle libéral qui se mettra en place, pas forcément moins bon qualitativement, mais assurément accessible à une minorité seulement.
Sinon, moi j’ai découvert Radio Classique. A 6 heures, que de la musique. Du plaisir.