Le grand écart
Je repense souvent à un article qui date de 2009 intitulé Sémiotique de la crise du cabinet Think-Out. Je vous conseille vivement de le lire, mais en attendant, voici un schéma extrait de l’article.
Je pense qu’il est assez clair. Face à la crise, faut-il se replier, adapter le système, le transformer ou le détruire ?
Dans le contexte de l’élection présidentielle en France, on pourrait par exemple classer les partis comme suit :
A. La droite, l’extrême droite
B. Le PS
C. Les écolos, le Front de gauche
D. L’extrême gauche
Il se trouve que je fréquente assidument Twitter, où je suis essentiellement des gauchistes de tous poils. Le dialogue y est musclé entre les soutiens de François Hollande et ceux d’Eva Joly ou de Jean-Luc Mélenchon.
Or, ce qui m’interloque quelque part, c’est que les soutiens de Hollande (case B) expriment très souvent des opinions qui tombent clairement dans la case C.
Mes échanges avec eux (je vous embrasse) révèlent que leur priorité est de dégager Sarkozy (et on les comprend), et qu’ils sont convaincus (pour certains) ou qu’ils espèrent (pour d’autres) que Hollande sera amené à se déporter sur l’axe des x pour gouverner dans la case C.
Certes, le score de Montebourg à la primaire socialiste et le niveau de Mélenchon dans les sondages peuvent contribuer à pousser Hollande dans ce sens. Mais c’est oublier l’Europe et la realpolitik qui exerceraient une attraction inverse s’il était élu. (Et soyons magnanimes et n’évoquons pas le track-record de la social-démocratie en France et en Europe, ainsi que celui de Hollande à la tête du PS).
Alors je me pose des tas de questions.
Qu’est-ce qui peut bien expliquer cette foi dans une hypothétique mutation/discontinuité alors que rien n’est moins sûr ? La « main invisible écologique et de gauche » est-elle plus crédible que celle du marché ?
Qu’est-ce qui peut bien expliquer que ces apôtres de la case C comptent voter B, alors qu’ils ont bien conscience que le système est à bout de souffle, implose, entraîne des dégâts considérables, et qu’il est urgent de penser une société post-consumériste-camée-au-carbone (ou en tout cas post quelque chose) ?
Leur positionnement C est-il bidon ? Sont-ce des cases B qui ne s’assument pas ? Sont-ils d’indécrottables optimistes ? Ou au contraire des pessimistes qui n’y croient plus et veulent simplement limiter les dégâts ?
Ou est-ce que la seule chose qui importe, c’est de choisir le bon cheval pour ne pas se retrouver dans le camp des perdants le moment venu ?
Car soyons honnête : si Hollande est le mieux à même de l’emporter, c’est seulement parce qu’il est le mieux à même de l’emporter, alors que si les Evalenchon© n’ont aucune chance, ce n’est que parce qu’ils n’ont aucune chance. Mais oui. C’est ça la magie des sondages.
Bref, d’après toi, qu’est-ce qui explique ce grand écart ?
Mots-clés : Evalenchon
Intéressant le questionnement sur « ces apôtres de la case C comptent voter B ». Il me semble que maintenant la plupart d’entre eux ont soit sombré dans la résignation, soit sont parti dans une logique de défense incohérente d’Hollandréou. Et finalement très peu (pour le moment ?) se tournent vers le FdG, ou au moins la « gauche » du PS et EELV.
Un tel comportement est difficile à appréhender, mais au final je crois que la seule explication, c’est tristement « l’habitude »…. L’habitude, c’est la réponse que donne un esclave à son maitre quand celui-ci lui demande pourquoi il ne se révolte pas alors qu’il veut sa liberté et a la force de la conquérir, dans le beau roman « Spartacus » d’Arthur Koestler. Ce qui inspire au maitre (un cynique détestable) cette réflexion : « au fond de la pensée des hommes, il y a une grand paresse et une grande accoutumance; tout à fait au fond une voix lui murmure en souriant que demain sera fait comme hier et comme aujourd’hui. L’homme le croit même s’il sait que cela n’est pas vrai; et heureusement il en est ainsi car, autrement, il ne pourrait pas vivre avec la notion de sa mort certaine… »
L’habitude, donc. Habitude que le P »S » soit « LA » gauche, « responsable et de gouvernement » selon la doxa des chiens de garde. Habitude que le salariat se fasse « flexibilisé » , que les financiers soient « rassurés » par le « sérieux budgétaire », que « l’esprit d’entreprendre » soit promu. Habitude que nous devons nous « adapter » à la mondialisation, que nous devons exprimer nos idées politiques « sans violence » et « sans populisme », que nous devons nous défier de tous ces turbulents « arabo-musulmans », que nous devons cesser d’être « angéliques » face à l’insécurité…
L’habitude aujourd’hui, c’est ce qui fait du « cercle de la raison » des néolibéraux un cercle d’acier se resserrant lentement sur nos quelques centimètres de matière grise, broyant notre faculté de penser et donc d’être des hommes.
@Thaddée Guenver
Merci pour votre excellent commentaire, aussi juste que percutant.
Je crois que votre explication est, hélas, fort plausible.
Il y aurait de quoi désespérer, si ce n’est qu’il me semble que la conjonction des « crises » (démocratique, financière (du capitalisme en fait), écologique, etc.) commence à secouer un peu les habitudes et certitudes de certains, et de les extraire un peu de leur torpeur. Babordages a pour ambition de s’enfoncer dans la brèche et de contribuer, à sa modeste mesure, à fissurer la forteresse TINA.
Sachant que si nous échouons, le Réel s’en chargera à notre place.
(Edit : je me suis permis de le tweeter)
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