La Démocratie pour les Nuls
Ça ne t’aura pas échappé, nous vivons en France sous un régime démocratique. Je te félicite pour ta perspicacité mais laisse moi te narrer cette petite histoire :
L’autre jour, un énorme 4×4, rutilant, pare-buffle chromé, tout équipé pour les jungles urbaines, se garait devant moi, moitié sur le trottoir, moitié sur le passage piéton. Comme je faisais remarquer au conducteur du véhicule que la façon qu’il avait d’occuper l’espace collectif n’était, à mon sens, pas la plus appropriée, et que sa liberté de posséder un substitut phallique aussi imposant s’arrêtait là où la liberté des piétons commençait, il me répondit quelque chose qui ressemblait à ça :
« Eh ! Oh ! On est en démocratie, je fais ce que je veux ! »
J’ai réalisé alors que le concept de démocratie n’est pas compris de la même manière par tous. (Je t’épargne la fin de l’histoire, elle est fleurie, je te laisse imaginer, fais-toi plaisir.)
Alors, la démocratie c’est quoi ?
Même si Wikipédia nous apprend qu’aujourd’hui encore, il n’existe pas de définition communément admise de ce qu’est ou doit être la démocratie, essayons de nous mettre d’accord sur des bases. Du grec ancien dêmos (peuple) et krátos (pouvoir), la démocratie c’est donc la souveraineté du peuple.
Nous avons une démocratie représentative lorsque le peuple délègue son pouvoir à un certain nombre de personnes par le biais d’élections.
Ça te va ? Bien.
(Si ça ne te va pas, tout d’abord, je te renvoie au titre de ce billet, et si la simplification à outrance te chiffonne, on peut en discuter plus bas, les commentaires sont là pour ça).
Regarde un peu les différentes élections qui existent ici, en France.
Je laisse de côté les sénatoriales qui se déroulent au suffrage indirect ; ne parlons ici que des élections où tu vas voter. J’élimine également le référendum, procédure exceptionnelle. Concentrons-nous sur l’ordinaire.
Il y a donc les municipales, les cantonales, les régionales, les législatives, les présidentielles et les européennes. Tu notes que chez nous, pour les deux tiers (66%) des élections, on ne vote pas pour un parti, on ne vote pas pour une idée, on vote pour une tête. C’est le scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Technique qui permet d’éliminer des seconds tours les candidats qui, même s’ils représentent parfois plus de 15% des suffrages exprimés, ne figurent pas dans le peloton de tête (coucou Lionel Jospin).
Démocratie ?
Je te vois faire la grimace. Tu te dis que ce système permet quand même d’éliminer le FN de la plupart de nos institutions. Il permet surtout de jouer le jeu dangereux du vote utile, et se serait peut-être plus intéressant de combattre le FN sur le terrain, sur ses idées, sur son programme plutôt que de le laisser joyeusement croître jusqu’au jour où l’on se le prendra dans la tronche.
Ça, c’est pour le système, voyons un peu ceux qui jouent à l’intérieur. Depuis un certain temps, les sièges divers et variés sont essentiellement partagés entre deux partis qui laissent, distribuent des miettes aux autres.
Démocratie ?
« Nous apprenons effectivement la démocratie. C’est assez nouveau, et pour ce qui me concerne je considère que c’est indispensable. Nous avons changé nos statuts pour que l’on progresse. » Jean-François Copé, le 2 juin 2013D’un côté, l’UMP. Rappelle-toi que cette formation qui s’appelait à l’origine Union pour la Majorité Présidentielle a été créée pour qu’un homme, Jacques Chirac, renouvelle son mandat en 2002. Aujourd’hui, on s’amuse des aventures lors du scrutin pour la présidence du parti, de l’organisation des primaires, mais ne devrait-on pas pleurer ?
De l’autre, le PS, organise un vote sur l’orientation européenne, mais la direction n’autorise pas l’aile gauche (que le PS possède une aile gauche en dit long sur le positionnement du reste du parti, non ?) à déposer un texte. On vote, OK, mais on n’a le choix qu’entre une seule proposition (ahem…). Finalement, les affreux gauchistes que sont Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedj ou Gérard Filoche ont pu faire valoir leurs positions dans quatre amendements. (Youpi!) Mais comme les résultats n’ont pas plu, on a publié des résultats bricolés.
Démocratie ?
Je ne sais pas pour toi, mais moi, je me suis laissé dire que si nos institutions et nos principaux partis s’engageaient doucement vers davantage de démocratie, peut-être que les connards en 4×4 arrêteraient de se garer sur les trottoirs, mais tu vas encore dire que je suis naïf…
Mots-clés : démocratie
Oui, moi aussi pendant 40 ans j’ai cru que la France était une démocratie.
Mais ça c’était avant
La démocratie reste une utopie, un idéal vers lequel notre société, tellement humaine, avec sa beauté, mais aussi toutes ses imperfections, doit tendre.
Reste que nous vivons en régime républicain. Et c’est bien là une bien grande différence.
La République est un régime militaire dans lequel le vote permet une organisation et un mode de représentation imparfait mais dont nous nous sommes satisfaits ces 56 dernières années (depuis sa mise a jour en version 5.0).
Reste que l’une des prérogative de l’armée, d’un point de vue intérieur est de pérenniser le système économique s’il venait à être mis en danger, ce qui pose d’ailleurs tous les problèmes des différentes contestations qui ont pu avoir lieu ces derniers temps.
Loin de moi l’idée d’être fondamentalement contre la notion d’armée (quoique), mais c’est bien par la réinvention d’un système de démocratie (et s’arrêter sur une version 6.0 ne résoudrait pas le problème de fond selon moi) que nous nous guérirons de cette gangrène que sont toutes les idées xénophobes et du repli communautaire.
Bisous
Oui le gros problème de notre démocratie (comme c’est le cas aux US ou en GB), c’est ce bi-partisme insupportable. Deux partis qui ne représentent même pas la moitié des citoyens s’arrogent quasiment tous les pouvoirs et 90% des sièges de députés. A coups d’alternance, ils sont quasi-assurés d’être au pouvoir à tour de rôle, pour quels résultats ?
Faut pas s’étonner que le FN finisse par monter, emmené par une redoutable chef qui appuie là où ça fait mal. Dans un contexte de crise (économique, sociale et institutionnelle), son discours fait mouche.
Alors maintenant, on fait quoi ?
Merci pour vos commentaires.
Je suis par monts et par vaux, loin d’une connexion internet, à partir de maintenant et jusqu’à dimanche tard dans la nuit.
Je prendrai le temps de répondre dès mon retour.
@Jerôme Effectivement, quand on voit le nombre de sympathisants de tel ou tel parti.. Ça fait cher la facture pour des groupements d’intérêts qui pensent d’abord aux leurs (leurres).
Mais attention, je reste persuadé que les ‘élites’ politiques sont utiles dans une forme de gouvernance d’inspiration démocratique, en ce sens qu’elles possèdent des savoirs, une passion et un certain talent pour mettre en place des lois et prendre la responsabilité des décisions.
Si on regarde bien les derniers scrutins, depuis toujours sous la 5eme, l’envie est forte d’une troisième voie, du troisième homme. Les électeurs comprennent que cette dualité à l’anglo-saxonne n’est pas viable dans un pays de chieurs finis !!
Je crois que cette troisième voie pourrait émerger de la base, des electeurs anonymes qui ne se reconnaissent sous aucune des bannières qui leur sont proposées actuellement, mais là encore, qu’il serait difficile de ne pas sombrer dans un mouvement populiste comme en voit l’Italie de Grillo (même si la mécanique de ce mouvement est altérée par un financement très occulte).
C’est déjà bien d’en discuter.. Ça fait se poser des questions, je trouve
J’attendais avec impatience un billet sur la « démocratie » de notre pays pour pouvoir en dire ce que je pense =)
Je serai catégorique : nous ne sommes pas en démocratie.
En se basant sur l’étymologie même du mot, on constate que les conditions ne sont pas remplies. Démocratie : le pouvoir par le peuple, pour le peuple.
Ce n’est que très rarement, lors d’évènements ponctuels que les « élus du peuple » ont agi réellement en faveur du progrès et de l’intérêt général (quand le capitalisme dut lâcher un peu de lest pour continuer à prospérer). Dans la majeur partie des cas, ces élus prennent des décisions qui vont dans le sens des castes dont ils font parti et qu’ils protègent. Et pour cause, les élus de la République ne sont en aucun cas représentatif du peuple dont ils prétendent défendre les intérêts. Combien de noirs au parlement ? d’arabes ? d’ouvriers ? Mais combien de médecins, combien d’énarques ?
Une démocratie qui ne représente pas son peuple a déjà du plomb dans l’aile.
Secundo. J’affirme que la vision d’une quelconque participation du citoyen à la vie démocratique est purement fantasmagorique. Le droit de vote n’a jamais été une prérogative de la stabilité démocratique, car à l’instar de la Russie, de la Biélorussie, de l’Azerbaïdjan et consorts, le droit de vote s’avère être une arme redoutable de stabilité dictatoriale, bien plus qu’une armée bien équipée qui tenterait de réprimer sauvagement ses rebelles.
Le tertio va couper court immédiatement au contre argument qui viendrait à l’esprit de mes détracteurs qui est : oui mais on ne connait pas les résultats des élections à l’avance. La belle affaire !
Quand Poutine et ses amis se présentent, l’issue du scrutin ne fait aucun doute, il n’y a qu’une possibilité. Mais chez nous, en démocratie, on est drôlement gâtés, car nous avons, non pas une, mais 2 issues possibles : la droite ou le PS. Cela se vérifie dans tous les pays du monde qui fonctionnent ainsi (à de rares exceptions près). Dès lors, un pays dont le mode de scrutin désigne irrémédiablement à chaque élection Pile ou Face comme vainqueur, est-il démocratique ?
Pour conclure, il n’est pas que le temps de changer de République, il est aussi le temps de s’interroger sur les fondements mêmes de la « démocratie » et d’envisager d’autres systèmes que celui en vigueur, où le peuple aurait toute sa place, sans pour autant passer par des élections mettant en jeu des personnages désireux de pouvoir.
Je glisse le nom d’Etienne Chouard qui tient un blog où cet économiste (entre autre) a commencé à réfléchir à tout ça.
Désolé d’avoir encore une fois été bien long.
@Chen
Effectivement il est urgent que nous trouvions une solution collective à ce problème.
J’ai regardé et farfouillé le site de Chouard (énormément de conférences en ligne sont disponibles). Son constat de depart est tres pertinent, malheureusement, j’ai (à titre personnel) pas mal de désaccords avec son analyse (voire même des craintes, quant à la justification de la rhétorique du tous pourri qui conduit inexorablement vers l.extreme).
Deux constats :
Le discours médiatique, dont nous sommes abreuvés 24h/24 est une forme de propagande en ce sens qu’il est répété encore et encore et encore. Je ne pense pas que ce soit forcément intentionnel, simplement, ce message nous impreigne inéluctablement (et le FHaine, JF Copue, Philipipot et consorts, ont tout à fait intégré cette mécanique).
2017 arrive à grand pas et si nous ne trouvons pas une solution commune et populaire pour contrer l’hégémonie du bipartisme, nous risquons, hélas, au mieux, nous trouver à nouveau avec pile ou face, et je n’ose même pas imaginer le pire..
Il est encore temps. Bougeons-nous ! Parlons-en (parce que se réapproprier ses questions nous permettra de nous poser les questions, et en même temps de se sevrer du discours médiatique)
Bisous
Salut lavoixdumoindre.
En ce qui concerne Etienne Chouard, on peut effectivement débattre de ses propositions. Mais il a le grand mérite d’avoir réfléchi (avec d’autres) à une autre façon d’envisager la gouvernance des peuples, et c’est à mon avis de ça qu’il faut discuter avec lui. Par exemple, le fait de proposer le tirage au sort comme mode de représentation est une idée à creuser.
En ce qui concerne le discours médiatique, je n’ai pas voulu être plus long que ce que j’ai été, mais c’est effectivement en ce qui me concerne une propagande permanente et, à mon avis, purement intentionnelle. Il ne faut pas se leurrer, se sont les mêmes qui sont au pouvoir (entendez le pouvoir financier, le pouvoir d’influence et pas forcément le pouvoir politique) qui possèdent les médias. Les médias sont un outil essentiel du capitalisme pour tenir à carreau le plus grand nombre et faire passer le plus de pilules possible. Les pouvoirs politiques et médiatiques sont dans une connivence permanente (cf les nouveaux chiens de garde)n mais jamais les médias ne voudront ou laisseront le FHaine arriver au pouvoir du fait du danger qu’il représente pour eux et leurs intérêts, pas plus qu’ils ne laisseront la gauche (pas le PS) y accéder. Donc à mon avis tout est intentionnel et je n’imagine pas un seul instant que Serge Dassault qui veut faire dormir ses ouvriers dans ses usines laisse délivrer par son journal (Le Figaro) des infos « non intentionnelles ».
Enfin pour 2017, il n’y a aucune solution dans la Ve République dans laquelle on ne peut rêver de voir un autre que les roses ou les bleus l’emporter. Le changement de système de représentation des peuples et de gouvernance ne peut intervenir que par un grand mouvement social (pas forcément une révolution) dont l’origine viendrait non pas de France mais de Grèce ou d’Espagne où la situation est celle que l’on connait. Car il ne s’agit pas que de changer le système français, mais aussi le système européen profondément inégalitaire et autoritaire.
++
@Chen
Je suis entièrement d’accord avec toi sur le principe, à deux-trois nuances près ^^ mais je n’ai pas envie de polémiquer à outrance au risque de polluer babordages.
Simplement, je pars du principe que les élections restent un moment particulier, sans doute trop fantasmé, où la démocratie s’exprime. Les révolutions ont finalement toujours servies les plus forts (indirectement, elles ont conforté leurs emprises sur ce monde).
C’est en ce sens que je crois que seul un moment de réflexion, de débats, un choix collectif, synthétisé par un scrutin (qui est le mode d’organisation actuel, bon ou mauvais) nous permettrait de prendre ces chemins de traverses, pacifiquement et indiscutablement.
Depuis le comptoir du café-truc, je vous salue et vous embrasse 😉
Je suis aussi d’accord il faut en parler, mais comme le dit Alain Badiou, ce ne sont pas les révolutions en elles-mêmes qui ont conforté les puissants et leur emprise sur le monde, mais ce sont bien les élections qui permettent de couper la dynamique révolutionnaire et la réelle aspiration démocratique du peuple, comme ça a été le cas en Egypte ou en Tunisie.
Maintenant je ne suis pas contre des élections, tout dépend ce que l’on met dans le mot « élection ». Le plus important aujourd’hui c’est d’en parler, comme on peut le faire joyeusement sur ce blog décidément très sympathique =)
Au plaisir
Pingback : Cornelius Castoriadis, une leçon de démocratie | Babordages
Etienne Chouard dit que c’est le modèle actuel de démocratie basé sur des élections qui ne fonctionne pas
Les Grecs anciens choisissaient leur dirigeants au hasard dans la liste de ses citoyens (ceux bien évidemment qui n’ont jamais été condamnés) et cela pour une durée « courte » (~2 ans)
Ainsi l’on échappait au risque d’être dirigé par des gens ayant des ambitions personnelles plutôt que collectives.
Maintenant c’est bien joli mais je ne vois pas comment organiser cela aujourd’hui. Les élections seront bien entendu truquées (les enjeux sont tellement élevés : la finance aura vite fait de mettre le grapin dessus)
Par ailleurs nos peuples sont tellement plus vastes et diversifiés que cela reste difficile à imaginer.
Etienne Chouard met surtout l’accent sur le fait d’installer des organes de controle démocratique efficaces, le problème du pouvoir en france est qu’il se contrôle lui même.
il n’y a qu’à voir les députés qui ne cessent de dire qu’ils faut moraliser la vie politique et proposent de légiférer pour se contrôler eux même
Je ne comprends pas qu’on s’obstine à dire qu’il est impossible d’organiser ça, surtout dans nos sociétés numériques. Le hasard se fout qu’on soit 2000 ou 65 millions.