Hara-Kiri
Mais putain de bordel de merde !!!
Je suis très énervé. Ulcéré même. Le problème, c’est que je ne sais pas par où commencer.
En revanche, je sais comment ça va finir. Il suffit de regarder de l’autre côté de l’Atlantique pour lire les spoilers des prochaines saisons.
Une droite de plus en plus dingue, arriérée, intégriste, une « gauche de gouvernement » occupant les créneaux laissés vacants par feu la droite ringarde, conservatrice mais néanmoins « républicaine », une gauche cantonnée à des ghettos intellectuels complètement coupés de la société, totalement inaudible et invisible en dehors des cercles d’initiés.
Que la droite impose les thèmes traités dans les médias n’est pas surprenant. Les médias appartiennent à des grands groupes privés, et tous les gouvernements sont de droite, à une consonne près.
Que l’extrême droite impose ses thèmes est beaucoup plus inquiétant. Certes, les gouvernements sont ravis et reconnaissants, car le contraste leur est favorable, ils paraissent plus raisonnables, ils peuvent appeler au vote utile, et ça évite qu’on s’attarde trop sur ce qu’ils font, ou plutôt à ce qu’ils ne font plus, par incapacité intrinsèque ou extrinsèque.
Mais je vais te dire un truc. C’est bien gentil de se lamenter et de dénoncer tout ça, mais encore faudrait-il s’interroger sur notre rôle dans cette débâcle.
Et quand je m’interroge, et bien j’arrive à la conclusion suivante :
Gauche, tu es nulle.
Si des trépanés du bulbe peuvent imposer leur agenda vomitif à base de qu… et de gen… aux médias et aux gouvernants et aux intellos et que pendant ce temps, tout ce que tu fais c’est dénoncer le phénomène (oui, comme je le fais à l’instant même, je suis tout aussi nul que toi), avec clins d’œil ironiques à Gramsci ou Spinoza pour épater les initiés, et bien je te le dis comme je le pense, tu n’arriveras à rien.
D’ailleurs, j’en profite pour te dire, gauche nulle, que tu es tout particulièrement nulle en Internet. Voilà l’outil égalitaire par excellence, capable en théorie de rebattre un nombre incalculable de cartes, mais tu t’en sers paresseusement. Tu n’appliques pas la puissance de ta pensée pour inventer des moyens intelligents de l’exploiter pour la bonne cause, et encore moins pour repenser les rapports de force dans la société. Pas plus que tu n’y accordes les moyens nécessaires (même à la hauteur de tes misérables moyens). Tu fais à peine le minimum syndical et ça fait peine à voir.
Et je vais peut-être t’horrifier, mais les cinglés de droite ont pigé un autre truc important que tu ne veux pas regarder en face. Quand ils disent que la gauche bien-pensante suinte le politiquement correct, ils ont raison. Ne hurle pas encore, je t’explique ce que je veux dire, évite les conclusions trop hâtives.
Nous à gauche, on n’est pas des salauds. On respecte les gens, quels qu’ils soient. On voit leur humanité avant de s’attarder sur les aspects superficiels qui les différencient. Enfin ça c’est la théorie, qui se fracasse de plus en plus souvent sur une contradiction : tu es stigmatisé ou tu subis des discriminations parce que tu es femme, arabe, juif, noir, homo, Rom, handicapé (ou toute combinaison des attributs suscités, liste non exhaustive) ou tu n’es rien de tout ça mais tu es indigné et solidaire et tu te bats pour que les minorités opprimées aient les mêmes droits que la majorité, et tu as bien raison, car c’est bien la moindre des choses, sauf qu’en mettant le projecteur sur le droit à l’altérité, qui est évidemment un droit, au lieu de le placer sur la primauté de l’universel sur le particulier, eh bien là, pour le coup, oui, tu fais le jeu de tu sais qui en t’alignant sur ses représentations du monde.
Lorsque je travaillais pour une grosse philanthropie « de gauche » aux USA durant les années 80, je l’ai vu naître le politiquement correct de gauche. Mais cette terreur d’offenser, de stigmatiser, aussi louable soit-elle, a un effet autoanesthésiant, paralysant. Pas une semaine sans un mémo décrétant les expressions à utiliser et à proscrire dans les communications officielles pour désigner les minorités visibles ou autres. Et cette bienséance, cette réserve civilisée, cette incapacité d’appeler un débile un débile et un salopard un salopard et une saloperie une saloperie, a ouvert un boulevard aux cinglés qui se sont engouffrés dans la brèche et ont rempli le vide de leur bêtise et de leur peur et de leur haine.
Aucun humaniste ne veut passer pour un salaud (j’allais dire pour un enculé, mais ça pourrait offenser quelqu’un, et je ne voudrais pas passer pour un homophobe, comme si les pédés avaient le monopole de la sodomie et que les hommes n’avaient pas tous une prostate, mais bon, ce n’est pas le sujet). Tu essaies d’être quelqu’un de bien et de bon, et donc tu ne veux pas te salir et t’avilir en t’abaissant au niveau des connards d’en face.
Ouais, mais tu veux que je te dise ? Le problème, c’est qu’il ne faut pas confondre connard et salaud, et les salauds d’en face ne sont pas tous des connards, dans le sens où ce sont parfois des salauds malins, organisés, qui utilisent et manipulent intelligemment et sans scrupule tous les leviers qui leur tombent sous la main pour injecter leur venin dans le débat public, quand ils ne poussent pas l’ingéniosité jusqu’à l’invention et la création de nouveaux leviers.
Et pendant ce temps, toi, gauche nulle, tu passes tes journées à documenter leurs moindres faits et gestes comme un anthropologue, quand tu n’es pas trop occupé à faire des concours de mots d’esprit sur Twitter comme dans Ridicule-lefilm.fr.
Mais bordel, sors-toi les doigts du cul ! Consacre une partie de la puissance de ta pensée et de ta culture et de tes capacités intellectuelles formidables à imposer ton agenda. Tu en as un, non ?
Mais bordel, on n’est pas en Amérique ici. Là bas, le premier amendement permet de tout dire. Il n’y a aucune censure d’état là-bas. La censure répond à des impératifs strictement économiques (si tu montres un nichon dans ta série, j’organise un boycott des annonceurs qui y passent leurs pubs, et M. Proctor et M. Gamble vont t’appeler et te passer un savon et retirer leurs billes, alors n’y pense même pas, et contente-toi des crânes qui explosent en gros plan).
Ici, tu as la loi de ton côté. Fais inlassablement chier les personnes publiques et les médias qui « dérapent » en les rappelant à l’ordre, au respect de LA LOI. Colle-leur des procès au cul ! Ne tergiverse pas en faisant du billard à cinq bandes dans ta tête.
Mais bordel, quand Oxfam, association respectable s’il en est, sort un rapport accablant sur l’état des inégalités dans le monde, et te sers sur un plateau des chiffres et des arguments incroyables, comme le fait que 85 67 PERSONNES possèdent autant de richesses que les 3 500 000 000 D’HUMAINS LES PLUS PAUVRES, et que tu n’arrives pas à imposer ça partout comme seul sujet de débat sur les plateaux radio et télé, dans les dîners en ville, et bien gauche, tu es NULLE À CHIER !
(Et d’ailleurs, si tu es de droite et que tu as atterri par mégarde sur Babordages, le suicide du capitalisme devrait t’affoler un peu, mais ce n’est pas le sujet de ma diatribe).
Cavanna est mort, et tu le pleures, comme moi, et tu (re)penses avec nostalgie à un monde dans lequel Hara-Kiri pouvait exister.
Mais bordel, c’est à cause de toi, la gauche nulle, qu’un Hara-Kiri ne pourrait plus exister aujourd’hui. Hara-Kiri était d’un mauvais goût absolument total, d’une grossièreté et d’une férocité et d’une bêtise et d’une méchanceté absolue que tu ne tolérerais pas une seconde aujourd’hui. On pouvait y lire et y voir des trucs estomaquants de vulgarité, ainsi que tous les mots interdits comme rital mais aussi pute et youpin et bougnoule et nègre et pédé et gouine et j’en passe et des meilleures, et tu sais pourquoi ça passait ? Pourquoi il n’y avait aucun soupçon de fascisme ? Grâce à un truc qui semble avoir disparu, pouf, évanoui, envolé, aspiré par un trou noir vortex :
Le contexte.
Le problème avec le contexte, c’est qu’il demande un effort. Pour le déceler, il faut lire ce qu’il y a autour des mots ou des expressions inacceptables, afin de ne pas les confondre avec l’intention qui les a engendrés. Dans le cas de Hara-Kiri, il fallait lire le reste de la phrase, du paragraphe, de l’article, du numéro, ou de plusieurs numéros. Et donc oui, sorti du contexte, ce qui y était écrit était parfois, souvent, toujours intolérable, mais tu sais quoi, c’était ça le jeu ! C’était drôle et c’était jouissif, parce que ça ulcérait les cons et les débiles qui ne voyaient pas plus loin que le bout de leur mot. Les gens moins paresseux comprenaient qu’un mot sorti de son contexte est le degré zéro du mot, un pixel si tu veut, jeune padawan, et qu’il fallait regarder tous les pixels pour percevoir l’intention révélée par le contexte, et même là, tu ne voyais souvent que du 17e degré, de l’allégorie, de la métaphore, illustrée par des gens moches, souvent à poil, photographiés dans une lumière affreusement crue, pataugeant dans leurs excréments, leurs miasmes, en train de bouffer du rat ou de fumer des tampons usagés, et c’était subversif, parce que c’était la version crue, non truquée, non photoshoppée, à peine exagérée des clichés colportés par la communication sous toutes ses formes, et ça tendait un miroir aux beaufs comme aux personnes bien nées, qui leur renvoyait une image de la société et d’une partie d’eux-mêmes qu’ils ne voulaient pas voir.
Alors ne me fait pas dire ce que je n’ai pas dit. Je ne veux blesser personne, encore moins pour ce qu’ils sont. Ça va à l’encontre de toutes les fibres de mon être. Ceci n’est pas un plaidoyer pour le droit d’offenser ou d’insulter les gens au même titre que les fachos, bien au contraire. Mais accorde-moi que l’indignation et la bienséance et/ou l’ironie grinçante et érudite ne semblent pas constituer des contrepoids ou contre-feux bien efficaces.
Mais bordel, il ne faut donc pas avoir peur de choquer, sur nos thèmes, pas les leurs, j’insiste ! et de cogner (métaphoriquement, car c’est un pacifiste que te dis ça). Il ne faut pas leur abandonner ce privilège, aux fachos et à ceux qui leur emboitent opportunément le pas.
Tu vas me dire que Mélenchon a essayé de parler cru et dru, et que ça n’a pas marché. (Ça avait l’air de plutôt bien marcher dans ses meetings, mais ce n’est pas passé auprès des gens bien élevés).
Peut-être parce qu’il est déjà trop tard.
Ou peut-être parce qu’il était pratiquement tout seul.
Ou peut-être parce que ça tournait trop autour de sa personne.
Ou peut-être parce qu’il n’a pas osé aller assez loin.
Mais bordel, il faut montrer nos petits muscles nous aussi, et imposer nos thématiques en faisant frissonner le spectateur du 20 heures (Jean-Luc, c’est bien gentil La Mer, mais bon, comment te dire…). Et il faut réhabiliter le contexte, sinon on ne vaut pas mieux que les Américains qui ont flippé leur race parce que le téton de Janet Jackson s’est échappé une nanoseconde de son costume de scène durant la mi-temps du Superbowl.
C’est aussi parce que tout le monde fait fi du contexte que les faits sont rapportés sans relations de cause à effet, comme s’il s’agissait de la faute à pas de chance.
Mais bordel, on n’est pas plus cons que les fachos et leurs complices plus ou moins passifs. Ce n’est même pas difficile. Tu résistes à l’appel irrésistible du mot d’esprit à tout prix, et tu matraques, tu matraques encore, tes idées, et le contexte dans lequel elles s’inscrivent, et à qui incombent les fautes, et tu dézingue la bêtise et les saloperies au passage s’il le faut, avec humour si tu veux, sans t’embarrasser de scrupules mais en partant de ton agenda, pas du leur, et tu recommences, encore et encore. On ne ringardise pas l’adversaire en dénonçant ses outrances mais en créant un environnement dans lequel ses outrances sont inacceptables, et couvrent ceux qui les relaient de honte. Certes, il faut parfois avoir les couilles le courage de passer pour plus con et plus vulgaire que l’on est (c’est le plus dur n’est-ce pas ? Allez, avoue !). Il faut parler simple (taxer le capital, c’est imbitable !), il ne faut pas avoir peur de se salir les mains, et d’être parfois aussi expéditif dans la méthode que les enfoirés de salauds de connards de cinglés d’en face en matière d’utilisation des outils de propagande, afin que nos valeurs infiltrent également les médias de masse, à leur corps défendant, et vite, parce que sinon, il ne nous restera que nos yeux pour pleurer.
Mort aux cons !
Excellent, tout est dit ….
Une seule chose, vous mettez à part FN et UMPS…… Certes je comprends pour certains de cette seconde catégorie, mais dans leur majorité les UMPS disent ou pensent les mêmes choses que le FN, leur seule différence est de ne pas avoir l’honnêteté de le dire !
« c’est à moi qu’tu parles? C’est à MOI qu’tu parles? C’EST A MOI QU’TU PARLES? »
A propos de courage, Mélenchon redevient moins con, comme avant. Ca fait du bien.
Et à propos de contexte, la 1ère quenelle était celle faite par un jeune sidéen en phase terminale, à la mort.
mais bon…
Bravo tu as réussi à être à la fois abléiste et transphobe !
Sinon il est bien ton texte, pourquoi tu l’a censuré ?
Merci. Grâce à toi, j’ai découvert un nouveau mot, à défaut d’avoir compris pourquoi j’en étais coupable.
Et sinon, j’avais des amis très chers qui se démenaient au PG en vue des élections, donc outre le côté un peu foutraque et énervé du texte, je trouvais que le moment n’était pas très opportun pour le publier…
Il y a des hommes dont on a enlevé la prostate (et le sinon n’indiquait pas de continuité logique entre mes 2 phrases)
(et c’était de l’humour hein)
J’avions compris : )
Ca serait bien de vous renseigner sur le journal dont vous implorez la nostalgie…
Déjà on devrait cesser d’idôlatrer un canard qui n’avait pas d’autre prétention que de faire marrer les jeunes, comme le font les rigolos de canal+ qui ont bêtement pris la relève parce que la culture populaire ne passe plus par la presse. Maintenant c’est internet qui prend le relai, vous êtes autorisé à participer à l’aventure et je vous invite à appliquer un des préceptes de choron: éviter le discours militant, parce que c’est un tue-l’humour.
Ha et à propos du « contexte » justement, Choron était pas vraiment un gauchiste, mais plutôt un gros réac misogyne violent et raciste, et l’ambiance des comités de rédaction était moins festive que sur les photos de bouclage, c’était engueulades escroqueries et bastons (quand choron n’était pas en train de se battre avec cavanna il tabassait la secrétaire). Le contexte n’est donc à la base ni reluisant ni marrant, mais ça empêchait pas de travailler pour faire rigoler les gens. Le contexte n’est pas plus joyeux chez les clowns de canal+ ou dans le petit théâtre de dieudonné, ce sont les mêmes embrouilles, et pourtant ils font marrer leur public.
Ce qui a changé au niveau du contexte ce sont les règles de censure, Choron enfreignait les tabous d’une époque où se moquer de l’église, des vieux, montrer des filles à poil ou écrire des gros mots, c’était le procès au cul assuré et d’ailleurs le journal a fini par crever sous les poursuites judiciaires et être tout bonnement interdit.
Les règles de censure ont changé, aujourd’hui le grand tabou c’est les minorités, et pourtant ça n’empêche pas les comiques d’enfreindre le règlement, et d’accepter les procès et la disgrâce qui vont avec. D’ailleurs le principe est là, plus c’est interdit plus les comiques le font parce que braver l’interdit fait marrer.
Si vous voulez honorer l’esprit hara-kiri alors faut déjà laisser votre militantisme pas drôle au vestiaire, et faut faire les blagues qui sont interdites maintenant, pas celles qui étaient interdites il y’a 40 ans.
J’ai vécu cette époque. Et vous ? Cavana et Gébé et Fred et d’autres fondateurs étaient de vrais gauchistes et/ou poètes.
Si le tabou d’aujourd’hui, ce sont les minorités, c’est parce que de gros enculés de connards aussi lâches que minables les accablent et les stigmatisent à toutes les sauces, comme si elles ne souffraient pas déjà assez comme ça, et ce qui fait un peu passer l’envie de faire de l’humour à leurs dépens, aussi bien intentionné soit-il.
Enfin, sur Babordages, on fait du militantisme, qui va du drôle au pas drôle. Sa lecture est néanmoins entièrement facultative.