Germanophobie ?
Tu lis un peu la presse. Tu regardes un peu la télévision. Tu écoutes un peu la radio. Et même (grand fou) tu vadrouilles un peu sur Internet. Il est rigoureusement impossible que tu n’aies pas entendu parler du « Modèle Allemand » (Ne me mens pas !). Si comme moi en ce moment, tu as un peu de temps, tu peux jouer à compter les semaines où ce terme n’est pas utilisé. Pour l’instant, et ceci depuis plusieurs mois, je sèche, bredouille.
Quel est-donc ce modèle tant vanté par nos politiques (large éventail, je t’épargne le listing de citations) et par nos journalistes assis éditorialistes du Monde au Figaro, de France Inter à RTL ?
Voici ce que l’on nous dit :
L’Allemagne est la principale économie européenne.
L’Allemagne est le premier exportateur du continent.
Les entreprises et marques allemandes sont reconnues au niveau mondial. #VroumVroum
L’Allemagne a su faire des choix courageux.
L’Allemagne a fait preuve de réalisme.
Les Allemands ont su accepter de grands sacrifices pour sauvegarder la compétitivité.
En ce premier trimestre 2013, l’Allemagne, où la croissance est repartie, est la seule rescapée au cœur de l’Europe.
Bien bien bien.
Grattons un peu et amusons nous avec leur jouet, leur préféré, le taux de croissance. Sur le site de la Banque Mondiale, j’ai fait une petite collecte de données de 1971 à 2011, des tableaux et des courbes. Regardons ce que cela donne. Bleu c’est la France, Rouge c’est l’Allemagne. (Le choix de couleur est absolument arbitraire, je suis daltonien)
Que vois-tu si tu prends du recul ? Deux courbes qui suivent des tracés relativement identiques. Deux courbes qui certes ondulent, mais qui sur ces quarante années s’orientent sensiblement à la baisse. Une courbe rouge qui remonte plus haut après la « crise » récente, mais qui a également sombré avec nettement plus de force en 2009. Je suis loin d’être un spécialiste de la question, mais ceci ne me semble pas bien significatif. Je suis sans doute un grand naïf, mais j’avais espéré voir une vraie différence, un truc qui claque, une courbe rouge fière et tendue. Je suis déception.
Regardons de plus près, ce n’est pas tellement l’habitude de la maison, mais faisons le quand même. Au premier trimestre 2013, la France est en récession (je sais, il faudrait dire croissance négative) avec une baisse de 0,2% du PIB et l’Allemagne affiche un taux de croissance de 0,1%. Excuse moi de ne pas m’extasier.
Depuis quelques semaines, on entend d’affreux individus mettre en doute le miraculeux modèle allemands. Si si, des gauchistes patentés issus du Secours Populaire et de La Tribune.
L’économique bande (mou), mais le social ?
Oui, en Allemagne il y a des pauvres, de plus en plus. Oui, en Allemagne il y a des salariés précaires, trop. Oui, en Allemagne des millions de retraités vivent dans la misère. Non, en Allemagne il n’y a pas de salaire minimum.
Ce que l’on essaye de nous vendre ce n’est pas l’Allemagne, ce n’est rien d’autre que la poursuite du modèle ultra-méga-néo-libéral. Allons-y, détruisons allègrement les services publics qui restent, privatisons la santé et l’école, accroissons les inégalités dans la joie et la bonne humeur !
Si t’es pas d’accord, tu es un vilain germanophobe.
Je ne suis pas germanophobe, j’ai eu un correspondant allemand en CM1 !
Au début, ils étaient cinq.
Chacun dans leur coin, ils fulminaient abondamment. Don Quichotte des temps modernes, ils affrontaient les moulins à parole du TINA. En vain et contre tous, ils résistaient sur les Internets, confortablement assis dans leur fauteuil. Le couteau entre les dents, les doigts sur le clavier, leur combat héroïque était sans merci.
Ils firent, chacun de leur côté, ce constat amer : « Tout seul on est rien, ensemble on est trop ».
Logiquement, ils décidèrent d’être quelques uns.
En fait le modèle allemand c’est une sorte de point godwin à l’envers
Et pour en ajouter une (petite) couche, les différents taux de pauvreté calculés placent toujours l’Allemagne devant la France en terme de population pauvre. Si l’on prend le seuil de 60% du revenu médian (qui inclue donc les très pauvres et les précaires), 16% des allemands sont pauvres, contre 14% en France qui a l’un des taux les plus bas d’Europe (si si ! le capitalisme ça marche bien si tu nais dans le bon pays et dans la bonne couche sociale). En prenant le critère de 40% du revenu médian (ce qui s’apparente aux très pauvres) là encore l’Allemagne pointe devant la France avec 4% contre 3%.
En Allemagne, il n’y a que 5% de chômage. C’est formidable ! Surtout quand tu sais que tu peux être payer 1€ de l’heure (si si encore ! ça existe bien). Selon le dangereux journal révolutionnaire Le Figaro qui s’étonne de ces chiffres, on compte environ 20% de travailleurs qui touchent en dessous du SMIC français, ce qui fait tout de même 6.5Millions de personnes.
Mais l’Allemagne est un très beau top modèle, il lui manque juste quelques dents…
@maistoutvabien : C’est un peu ça. D’une manière générale, je pense qu’il faut se méfier des « modèles » que l’on essaye de nous vendre. Je renvoie à l’excellent billet de Thierry Beysson sur la Suède par exemple. La possibilité de brandir l’argument de la machinphobie, est un moyen tellement facile d’éviter tout débat.
@Chen : Vous avez tout à fait raison. Je n’ai pas souhaité, dans ce billet, m’étaler en nombres et données, mais vos compléments sont les bienvenus.
Personne ne touche moins que le smic francais en Allemagne, puisque les bas salaires ont droit à des allocations sociales très conséquentes. Et on vit bien mieux avec 800 euros à Berlin qu’avec 1300 euros à Paris. Mais bon, c’est vrai que la France fait rêver, avec des loyers carrément 2 fois plus élevés qu’en Allemagne, une ghettoisation sociale et ethnique ahurissante et 4 millions de mal logés, sans parler du chômage qui touche un jeune sur 2.
@Agneska : Entendons nous bien, ce papier ne vise pas à démontrer que la France, c’est mieux que l’Allemagne. D’autant que si l’on prend du recul, ce sont plus ou moins les mêmes politiques libérales qui y sont menées. Et ce sont bien ces politiques qui me posent problème.
Je ne connais pas suffisamment le dossier des aides sociales Outre-Rhin pour vous répondre, mais concernant les loyers, vous avez parfaitement raison.
Quant à la misère, au chômage, aux mal logés, ne nous lançons pas dans une compétition, ces situations sont inacceptables. Partout.
Je me permets toutefois (parce que j’aime bien jeter de l’huile sur le feu et parce que les deux liens du billet n’ont pas l’air de vous avoir convaincu) de vous renvoyer à la lecture de cet article et au visionnage de ce documentaire. C’est éclairant, je trouve.
Et je redis pour conclure, que ce n’est pas l’Allemagne qui me gratte, c’est « le système » qui me démange.
Agneska, j’entends bien vos arguments, néanmoins il ne me semble pas que le fait que l’Etat prenne le relais de l’employeur pour garantir un salaire décent soit un modèle économique enviable.
De plus, s’il est vrai que les loyers sont plus bas en Allemagne, ce qui permet à une bonne partie de la population de garder la tête hors de l’eau, il ne faut pas espérer que cette situation perdure. Le cas de Paris est bien particulier car il s’agit d’une des villes les plus connues, les plus prisées et les plus visitées au monde, ce qui n’est pas le cas de Berlin, d’où ses loyers abordables.
Par ailleurs, je suis récemment allé en Allemagne dans l’une des régions les plus riches. J’y ai vu beaucoup de clochards dans les rues (et pas que es immigrés) ce qui prouve à mes yeux que la situation est tout de même inquiétante. De ce que j’ai vu, lu et analysé, je pense que l’Allemagne va droit dans le mur de la même façon que les autres pays européens, et ce n’est pas le prix bas des loyers qui décide de la bonne santé économique d’un pays.