Vive l’internationale protectionniste !
J’allume la radio. Un soir sur France Inter, le héraut de la démondialisation, qui malgré l’épreuve des faits, s’en revendique toujours. Arnaud Montebourg donc :
« Je suis un démondialisateur acharné. Je pense que la mondialisation a été un désastre pour l’Union Européenne. »
Dans le monde imaginaire d’Arnaud, les négociations sur le marché transatlantique dont le mandat a été donné à la Commission Européenne avec la bénédiction de François Hollande n’existent vraisemblablement pas.
Et puis tu comprends que la démondialisation d’Arnaud, elle est vraiment en carton (tu t’en doutais hein) quand il commence à déblatérer sur la compétitivité :
« Carlos Goshn a dit aux ouvriers : on a gagné contre l’Inde.
Pourquoi ? Parce que vous avez fait un effort de compétitivité sur les coûts de production. C’est vrai, les ouvriers de Renault ont fait un effort sur le temps de travail, sur les salaires… »
Il reprend :
« Pourquoi nous avons baissé de 6% le coût du travail ? Pour rendre plus attractifs les calculs en faveur de la France. Pourquoi nous nous battons pour avoir une énergie pas chère ? (La rente nucléaire en fait partie). Et bien, justement pour être plus compétitif et permettre aux entreprises de relocaliser »
Et puis la démondialisation d’Arnaud, t’avais cru que ça devait être un phénomène mondial ou au moins régional. Et bien, tu t’es fourré le doigt dans l’œil jusqu’au coude. La démondialisation d’Arnaud, ce n’est que pour la France :
« Toyota, une industrie japonaise de haut vol, numéro 1 mondial ! Ils ont décidé de remettre 25 000 véhicules dans leur usine de Valenciennes à destination de l’exportation vers les États-Unis. Ils ont pas décidé de les produire (…) aux États-Unis. Ils ont décidé de les produire en France, à Valenciennes. C’est donc que ça progresse et que nous sommes sur le bon chemin. »
Ils doivent être vachement contents les ricains. On va les inonder de produits français et tu vas voir comme notre balance commerciale elle va être grosse… C’est beau la démondialisation montebourgeoise.
En entendant Arnaud débiter ses conneries libérales, je me dis qu’avec des amis comme ça, le protectionnisme n’a pas besoin d’ennemis (tu me rétorqueras qu’avec Le Pen non plus. Et tu auras bien raison). Et je comprends mieux pourquoi il est rejeté par une partie de la gauche radicale. Considéré comme l’ennemi juré de l’internationalisme.
Cet antagonisme protectionnisme/internationalisme au sein de la gauche radicale m’a toujours frappé tant il utilise les mêmes ressorts que les argumentaires des libéraux.
Ne crie pas, je vais tenter un parallèle douteux :
« Je pense que la thèse de la démondialisation est réactionnaire. Le monde ne revient pas à l’envers. » Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, juin 2013
« Aujourd’hui, alors que l’économie est cent fois plus mondialisée qu’elle ne l’était à l’époque de Marx, il est inepte et réactionnaire de proposer un repli national et il est d’autant plus essentiel de défendre l’internationalisme prolétarien. » Lutte ouvrière, février 2012
Je te précise tout de suite. Il est hors de question de renvoyer dos à dos les libéraux et une partie de la gauche radicale. Il s’agit juste de souligner qu’au nom de l’internationalisme, peut être justifiée une des raisons profondes des problèmes sociaux, du Nord comme du Sud.
L’internationalisme peut non seulement cohabiter avec le protectionnisme, mais plus encore, il en est une condition, à court terme. Ne pars pas, je vais t´expliquer.
Il ne faut pas (par mauvaise foi ou par paresse) confondre nationalisme et défense de la souveraineté populaire. La souveraineté est le nœud du problème. Sauf à attendre que les peuples du monde s’unissent et se révoltent en même temps pour renverser l’ordre libéral (je n’ai pas cette patience et les peuples sont trop occupés à être mis en compétition les uns contre les autres), la possibilité d’un renversement ne peut se former que dans un espace de souveraineté populaire, réel ou supposé.
Dès que l’espace de liberté marchand (biens et capitaux) déborde celui de la souveraineté populaire, il la met en danger et finit par la terrasser. Ses règles échappent de fait au peuple et sont dictées par les membres d’une oligarchie, bien souvent nommés par des gens eux-mêmes nommés, etc., etc., par des élus. L’éloignement du peuple est tel qu’il n’a plus aucun pouvoir sur eux et eux n’ont plus aucun compte à rendre. Le protectionnisme, parce qu’il réduit l’échelle de la liberté de circulation des biens et des capitaux, brise ce phénomène et oblige à redéfinir les règles qui régissent l’espace dans lequel elle s’exerce.
Le protectionnisme a une autre vertu. La compétitivité, parce qu’elle n’est qu’un phénomène intrinsèque du libéralisme, se trouve désarmée (si tu veux savoir ce que je pense de la compétitivité, c’est par ici). Le commerce mondial étant un jeu à somme nulle, la compétitivité, c’est la guerre. Il y a forcément les gagnants et les perdants. Et chez les perdants comme chez les gagnants, les profits vont toujours aux mêmes (suivez mon regard).
C’est le libre-échange qui monte les travailleurs les uns contre les autres, en fonction de leur place sur l’échelle de la compétitivité. Et non le protectionnisme. C’est le libre-échange qui tue à petit feu la démocratie et les travailleurs.
Le protectionnisme, en limitant la compétition entre les peuples, ouvre une brèche aux citoyens pour s’organiser afin de peser dans la zone de souveraineté dans laquelle ils se trouvent. Ne pas devoir se battre en permanence contre la délocalisation dans tel ou tel pays, donne la possibilité matérielle aux travailleurs de construire des combats communs. C’est pourquoi il faut chercher des convergences internationales, dialoguer, unir les luttes. Mais dans le même temps, reconstruire des espaces de souveraineté populaire. Et le protectionnisme en est un moyen.
Alors se pose la question de notre propre espace de souveraineté : la France ? L’Europe ?
Mais ça, c’est un autre débat…
Mots-clés : Internationalisme, libre-échange, Protectionnisme
Bien sûr, juste un peu de protectionnisme et les « peuples » ne seraient plus exploitées. Et la révolution se ferait dans un « espace souverain ». La vieille sauce stalinienne…Heureusement, tout ce discours n’est plus que nostalgie pure et simple et n’a plus aucune base matérielle pour réellement nuire d’une manière quelconque.
Je te remercie vivement pour ce commentaire qui vient éclairer le débat. La qualité des arguments développés n’a d’égal que la courtoisie et le respect qui s’en dégagent. Bref, un commentaire tout à la fois instructif et constructif.
Il faut croire que tant que la concurrence ne nous aura pas contraints à abattre le dernier arbre sur cette planète, on continuera à consacrer l’essentiel de notre matière grise à démontrer que la compétition déforestratrice est l’avenir de nos forêts…C’est un peu désespérant..
Je suis d’accord avec l’idée que la définition de l’espace social optimalement dimensionné pour exercer une souveraineté responsable et viable reste à définir.
Faut-il exploiter la veine patriotique comme ciment social, avec le risque de la pollution nationaliste, ou au contraire repartir de la page blanche, pour éviter les biais historiques nostalgisants?…
Sinon j’aime bien la vieille sauce stalinienne de notre ami commentateur ci-dessus… Si je voulais faire de l’esprit, je dirais qu’elle sent un peu le réchauffé !
La France ? L’Europe ?
Ou nos collectifs peinant à inventer ici et là une vraie démocratie ? Et qui peut-être aboutiront à des entités plus grandes mais surtout pas oligarchiques, sans Etat ?
Il faudrait pour y parvenir des collectifs qui ne se contentent pas de résistance ou d’agit-prop mais qui partagent une interdépendance vitale. A quand un renouveau du mutualisme sur fond de transition écologique, forcément environnementale et sociale ?