Terra incognita

Elle avait fait son petit effet quand elle était sortie du moulin à vent.

Rien de nouveau sous le soleil. Mais en 9 pages, il y avait à peu près tout ce que le PS était devenu.

2011. Le moulin à vent porte le doux nom de Terra Nova. La note est sobrement et humblement intitulée : « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? »

On notera au passage que « gauche » désigne là le PS et que vu la teneur du rapport, de gauche il n’est point question. Passons.

Ça fait bien longtemps que le PS a abandonné les classes populaires. Mais jusque-là, il feignait que c’était à son corps défendant. Par réalisme et pragmatisme uniquement quoi.

Mais là, Terra Nova y allait à la serpe.

D’abord, les ouvriers sont de méchants obscurantistes :

Le déclin de la classe ouvrière – montée du chômage, précarisation, perte de l’identité collective et de la fierté de classe, difficultés de vie dans certains quartiers – donne lieu à des réactions de repli : contre les immigrés, contres les assistés, contre la perte de valeurs morales et les désordres de la société contemporaine.

Comme les pauvres sont cons, il faut abandonner la « logique de classe » pour se concentrer sur des « valeurs ». L’électorat de la gauche ne doit donc plus être composé de classes sociales mais de groupes sociaux plus ou moins hétérogènes : femmes, diplômés, minorités, etc. Liberté, égalité des chances, diversité.

Le PS doit donc ne plus « chercher à restaurer sa coalition historique de classe » car « la classe ouvrière n’est plus le cœur du vote de gauche, elle n’est plus en phase avec l’ensemble de ses valeurs ». Il doit donc « opter pour une stratégie de valeurs (…), notamment culturelles : insister sur l’investissement dans l’avenir, la promotion de l’émancipation, et mener la bataille sur l’acceptation d’une France diverse, pour une identité nationale intégratrice, pour l’Europe. »

Ce torchon sauce think tank n’avait donc rien de nouveau. C’est une orientation du PS qui s’est joué en grande partie dans les années 1980. Qui a naturellement accompagné l’acceptation de l’économie de marché comme seul horizon et du libéralisme comme seule politique possible. Il n’y a qu’à compter, pour s’en convaincre, le nombre de fois où nous avons lu sous l’infatigable plume des journalistes assis : « Enfin ! Le PS a fait son Bad Godesberg »… Cependant, ce texte avait le mérite de l’écrire noir sur blanc, sans fard. La politique économique et sociale n’est pas clivante. Ciao l’ambition de transformation sociale.

Depuis le début de son quinquennat, la politique de François Hollande inscrit ses courbes parfaitement dans le dessein gribouillé par Terra Nova. Et, ô surprise, l’échec est total :

– L’abandon des classes populaires (lire à ce sujet De l’abandon au mépris de Bertrand Rothé) et surtout l´occultation de toute logique de classe ont fini de pulvériser la conscience de classe, privant ainsi le mouvement social de son moteur le plus puissant, et la gauche de la conscience d’elle-même et de ses adversaires politiques.

– Les options économiques et sociales prises par le gouvernement, la politique de l’offre, guidées par une obsession sans précédent de la compétitivité prix (tu sais, le coût du travail) ne donnent pas de résultat. Et quand bien même elles en donneraient, le coût social serait colossal…

– Cette politique économique dans la continuité de celle de la droite (et souvent plus violente car débarrassée de ce qui reste du mouvement social) ne permet plus de distinguer clairement la gauche de la droite. Ainsi, contrairement à ce que prétendait Terra Nova, ce n’est pas parce que les classes populaires se détournent du PS qu’il doit investir le champ des « valeurs ». C’est parce que sur le plan économique et social le PS se rapproche de la droite, qu’il doit trouver d’autres moyens de « cliver ». C’est son seul salut.

– Menant la même politique économique que la droite, le PS pousse cette dernière à focaliser son opposition uniquement sur les questions sociétales et à prendre des positions toujours plus radicales, la rapprochant ainsi de l’extrême droite et légitimant ainsi un peu plus ses idées nauséabondes. Ce faisant, le PS renforce les courants de droite radicale et facilite leur unification.

– Cette focalisation sur des mesures « sociétales » sans horizon de transformation sociale devient insuffisante pour beaucoup (et manque donc de soutien). L’absence de projet politique global rend inaudibles voir inacceptables pour certains les réformes sociétales seules et ramènent ainsi une partie des « outsiders », comme dirait Terra Nova, à rejoindre le camp des conservateurs, créant ainsi un front d’opposition plus large.

– Les « valeurs », parce que déconnectées du champ social, traversent et divisent les classes sociales, formant ainsi des fronts nouveaux qui transforment en profondeur les configurations politiques. Cette logique substitue à la lutte des classes une lutte des valeurs. Si on peut aisément concevoir la rationalisation d’un intérêt de classe, il n’en va pas de même pour les valeurs. Le jugement remplace l’intérêt, hystérisant le débat public.

C’est ce dernier phénomène, peut-être, qui a conduit le gouvernement à retirer son projet de loi sur la famille sous la pression de quelques dizaines de milliers de fachos conservateurs de tous poils. S’ils reculent sur les questions sociétales, il ne leur reste plus rien.

Alors, ils ressortiront leur botte secrète, le vote utile. Il vont vouloir « rassembler la gauche contre l’obscurantisme ». Mais, cette fois-ci, tu ne cèderas pas. Tu ne voudrais tout de même pas les exonérer de leur responsabilité et les encourager à continuer dans cette voie ?

Pas encore une fois ?

 

Mots-clés : la groite, PS