Babordages

Pendant qu'ils ne cherchaient pas d'alternative, nous pensions à un #PlanB.

Drone

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« Enfin il y a le plus long terme, avec le champ des drones de combat qui, à l’horizon 2030, viendront compléter voire remplacer nos flottes d’avions de chasse. »

Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense – les Échos – 31 mai 2013

Tranquillement, il fait son nid. Le drone.

Doucement, de déclaration du ministre de la défense en loi de programmation militaire, il avance. Indétectable dans le débat public, cette fleur des nouvelles technologies va débarquer dans nos armées.

Le projet de loi de finances 2014 prévoit l’acquisition de drones de renseignement. Le projet loi de programmation militaire 2014-2019 affiche clairement l’ambition : « Les drones de combat pilotés à distance ont vocation, à terme, à compléter ou, selon le cas, remplacer les aéronefs de combat. » On apprend d’ailleurs avec enthousiasme que, le 24 septembre dernier, de vaillants militaires français sont allés au Nouveau Mexique se « familiariser » avec le drone MQ-9 Reaper (Ah oui, Reaper ça veut dire « la Faucheuse ». Mignon tout plein).

Aucun débat public sur la question de l’arrivée des drones dans la flotte française. Quelques entrefilets à peine. Et pourtant, c’est une rupture historique importante.

Le drone, une arme comme une autre ? Car une arme, c’est une arme, non ? Il n’y a pas d’idéologie dans un fusil, l’idéologie est dans celui qui le tient.

Le livre d’un philosophe, Grégoire Chamayou, se penche sur cette question et analyse avec brio ce qu’est le drone, ce qu’il représente comme rupture militaire, éthique et juridique. Théorie du drone.

Je l’offrirais bien à Le Drian tiens. Il faudrait d’ailleurs le déclarer d’utilité publique.

Après la frappe

L’opérateur : C’est quoi ceux-là ? Ils étaient dans le véhicule du milieu.

Le coordinateur : Des femmes et des enfants.

L’opérateur : Ça ressemble à un enfant.

Le livre s’ouvre sur un dialogue hors sol, tiré de transcriptions officielles. Sec et tranchant. Des opérateurs de drones, assis dans leurs fauteuils d’une base militaire du Nevada, scrutent les montagnes afghanes, visent et tirent. Plus proche du jeu vidéo que du combat armé.

A partir de là, on plonge dans un récit de science- fiction du réel. Une descente vertigineuse dans la grammaire de la guerre et la défense de l’indéfendable.

Grégoire Chamayou analyse, principalement à partir de l’exemple américain, un glissement qui s’opère dans certains « conflits » : de l’affrontement de combattants de camps adverses à une véritable chasse à l’homme, aux hommes. Il met en perspective le fantasme de la guerre « zéro mort » dans les pays détenteurs de drones et le sentiment de traque perpétuelle des populations, « cibles potentielles ». L’asymétrie de ce mode de « conflit » est immédiatement saisissable. La détention de la technologie et donc du capital est la clé de l’invulnérabilité.

Mais cela va bien plus loin. D’abord utilisé pour des assassinats ciblés,  les drones visent désormais des comportements. Ils établissent des motifs récurrents, archivent des milliers d’heures de surveillance et repèrent les anomalies. Tout comportement sortant des habitudes que le drone a cartographié devient un comportement suspect et donc potentiellement terroriste. L’identité de la cible n’est alors, dans la plupart des cas, pas connue. On ne frappe plus un homme ou un groupe d’hommes mais un comportement déviant de la norme établie. L’armée américaine appelle ça des « frappes de signature ». Charmant. Ce ne sont pas tant les bavures, nombreuses, que Grégoire Chamayou condamne que le procédé lui-même, qui fait de chaque être humain un suspect potentiel et donc une cible possible .

L’utilisation du drone redéfinit totalement la définition d’une zone de conflit, jusqu’ici espace délimité géographiquement et temporellement, régit par des règles internationales. Le drone invente la zone de conflit omniprésent et mobile, celle du champ de la traque. Il n’y a plus des territoires en guerre mais des individus ou des groupes d’individus suspects. Le terrorisme est potentiellement partout, la traque l’est donc également. Les militaires ont théorisé cette zone sous le nom de « kill box », un cube autour de la cible. La violence et le droit de tuer ne sont plus circonscrits à des zones définies. Ils sont partout.

Vertueux pour les forts, car ne nécessitant aucun sacrifice humain (et n’ayant ainsi que peu d’impact sur l’opinion), le drone est la pire des armes pour le faible. Il prive son ennemi d’ennemi. Omniprésent bien qu’invisible, il devient la hantise des populations. Il modifie ainsi profondément le rapport à la guerre et la vide de toute politique et stratégie. La population et son soutien ou son opposition ne font pas partie de l’équation. Enjeu pourtant central des guerres contre-insurrectionnelles, elle est ignorée de la guerre du drone. Il n’y a plus de politique, plus que du punitif. S’opère ainsi un glissement majeur du « politico-militaire » au « policier-sécuritaire ». L’ennemi n’est plus politique, il est une anomalie de comportement, une déviance potentiellement dangereuse. Il substitue à une « éthique » de la guerre une « éthique » de l’assassinat.

L’utilisation du drone n’est pas une question militaire, c’est une question politique. Il ne peut pas être une simple ligne dans une loi de finances. Nous devons porter cette question dans le débat public. Il est grand temps.

Clumsy

À propos de Clumsy

Gauchiste plongé en apnée dans un monde de droite. En deuil de la force intrinsèque des idées vraies. J'aime manger des enfants au petit-déjeuner mais avec un couteau entre les dents, c'est pas si pratique.

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4 avis sur “Drone

  1. obermeyer

    He oui , ce qui fait que la réponse à ces assassinats ciblés sera une recrudescence d’actes de terrorisme. Quand on reprochait aux « terroristes » de placer des bombes dans les cafés pendant la guerre d’Algérie, ceux ci répondaient : donnez nous vos avions et vos tanks, nous vous donnerons nos couffins et nos bombes. Ces drones ne font que rendre le monde plus dangereux, pour tous !

    Répondre

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