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Pendant qu'ils ne cherchaient pas d'alternative, nous pensions à un #PlanB.

Des ZAD partout ?

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Impunément.

Incendier un centre des impôts. Démonter un portique sur une autoroute. Déverser des tonnes de fumier sur des bâtiments publics, des permanences politiques. Faire brûler une voiture de l’inspection du travail. Torturer des animaux. Sans un soupir du gouvernement, si ce n’est le glapissement d’un énième renoncement annonçant la reddition immédiate face à ce qu’il considère comme une colère légitime.

La FNSEA manifeste.

Pas un policier ou si peu sur les images relayées avec gourmandise par les médias. Parce que ces agriculteurs-là, on les cajole à la hauteur des millions qu’ils représentent et de la force avec laquelle ils s’inscrivent dans la logique libérale des politiques actuelles. L’impunité dont ils bénéficient n’est pas anodine. Ils défendent le même modèle que les gouvernements de droite et de gauche qui se succèdent et se ressemblent de plus en plus. Ils défendent la compétitivité de l’agriculture française, au mépris de la biodiversité, du simple respect de l’écosystème qui les fait vivre. Ils se battent contre l’impôt sous toutes formes (bien contents néanmoins d’en récolter le fruit via la PAC).

Le contraste entre le traitement politique et médiatique des manifestations suite à la mort d’un militant écologiste et de celles du syndicat patronal de l’agriculture intensive, réclamant moins de normes (notamment environnementales) et moins d’impôts, vous saute au visage tant il est outrancier. Mais le différentiel des degrés de répression policière, s’il est moins visible, est probablement encore plus signifiant. Sur les ZAD comme dans les manifestations qui ont fait suite à la mort de Rémi Fraisse, le déploiement des forces de l’ordre et les méthodes utilisées doivent nous interroger. Comme l’analyse Matthieu Rigouste, docteur en sciences sociales, dans ces conflits, le rôle de la police prend une autre tournure :

Face aux ZAD et à leurs formes de reterritorialisations des luttes urbaines et rurales, les polices occidentales expérimentent aussi de nouveaux dispositifs de contre-insurrection hybrides et modulables, c’est-à-dire où la dimension militaro-policière du quadrillage, de l’enfermement et de la provocation est centrée sur un théâtre d’opération rural et forestier mais est aussi capable de passer rapidement voire simultanément en mode « Azur » (action en zone urbaine). Capable de passer instantanément du « maintien de l’ordre » au « contrôle des foules », de la répression policière à la guerre de basse intensité.

Ce fut le cas à Gênes dès 2001, lors des manifestations anti-G8. Le but de la police n’était déjà plus le maintien de l’ordre mais bien la répression d’un mouvement naissant pour le tuer dans l’œuf. Amnesty International avait d’ailleurs qualifié cette répression comme « la plus grave atteinte aux droits démocratiques dans un pays occidental depuis la Seconde Guerre mondiale ». Si peu. Et ces techniques « contre-insurrectionnelles », qui ont également fait leurs preuves lors des répressions des « émeutes » des banlieues françaises en 2005, sont systématiquement utilisées sur les ZAD comme dans les manifestations de soutien. Il n’y a qu’à lire les témoignages des occupants de la ZAD de Sivens pour s’en convaincre. Ils ont fait face à une répression permanente et sourde, à un harcèlement quotidien.

Dans cette guerre de basse intensité, le pouvoir politique et médiatique n’est pas en reste. La figure du « casseur » joue une place centrale dans le dispositif de décrédibilisation et de division du mouvement.  Car, en regard de certains débordements regrettables, n’apparaît jamais la violence à laquelle ces derniers répondent, celle des policiers et autres gendarmes mobiles. La présentation tronquée et la stigmatisation hypertrophiée des « casseurs » est une composante à part entière de la stratégie de répression. Pour Mathieu Rigouste, la création d’ennemis intérieurs est un élément de diversion central :

La contre-insurrection repose aussi sur des méthodes d’action psychologique, parmi lesquelles des protocoles visant à diviser les résistances en désignant des « ennemis intérieurs » dont il faudrait se méfier voire purger. En l’occurrence, la figure des « casseurs » et des « violents » permet de diaboliser les actions directes non conventionnelles, de masquer la violence structurelle du pouvoir et de promouvoir face à cela des mobilisations inoffensives et facilement gérables.

Ce traitement particulier, réservé à certains types d’actions, est loin d’être anodin. Avec les révoltes des quartiers populaires, les ZAD sont probablement les mouvements qui font actuellement le plus peur au pouvoir politique. Car il ne s’agit pas simplement de protéger l’habitat reproductif du triton à crête rouge. Le combat va bien plus loin. Contrairement à celles, en grande partie feinte, des syndicats patronaux, agricoles ou non, les résistances qui se construisent, de Notre Dame des Landes au Testet, en passant par l’opposition à l’usine des 1000 vaches ou à la ligne grande vitesse Lyon-Turin, combattent frontalement le modèle de développement que nous imposent gouvernements et institutions européennes. Ces résistances proposent les balbutiements d’un nouveau modèle. Elles battent en brèche la compétitivité, la libéralisation, la course au profit, pour inventer de nouvelles solidarités, de nouveaux modes de propriété, un autre rapport à la production.

Mais surtout, les ZAD constituent aujourd’hui les seules poches de résistance concrète, profonde et radicale qui arrivent à durer et à produire un effet de contagion. C’est une alternative en expansion. Symboliquement, le mot ZAD, Zone à défendre, tend d’ailleurs à se généraliser à toutes les luttes de résistance à des projets qui placent le profit de quelques-uns devant l’intérêt collectif de la protection de notre écosystème. Mais il désigne aussi une forme de réappropriation de l’espace public, de la conflictualité et une redéfinition des rapports de propriété. Gageons que nous verrons, dans les mois prochains, fleurir des ZAD, y compris sur des territoires urbains, comme ce fut le cas brièvement à Rouen la semaine dernière.

Même si beaucoup d’organisations politiques de gauche n’en ont pas encore conscience, les luttes écologiques ont un contenu et une capacité à élargir leur base qui en font probablement l’arme la plus puissante pour renverser l’ordre capitaliste.

Climate change can be a people’s shock (…) It can disperse power into the hands of the many (…) and radically expand the commons.

Naomi Klein, This changes everything

Le changement climatique pose l’urgence d’un changement de modèle à grande échelle. La logique de déréglementation à l’œuvre actuellement, qui produit un niveau d’inégalités quasi inédit ainsi qu’une concentration de la propriété privée, entre en conflit frontal avec la sauvegarde de notre écosystème. La lutte contre le changement climatique, pour peu qu’elle soit un minimum sérieuse, pose la question de la souveraineté populaire, des biens communs et donc des limites de la propriété privée. Elle induit une reréglementation, remet en question le veau d’or de la croissance. Bref, elle a un contenu qui propose une profonde transformation des rapports sociaux. En tant que levier premier d’une possible alternative, elle est intrinsèquement révolutionnaire. Nous nous devons de nous en saisir et de construire ou soutenir des ZAD partout où c’est possible.

 

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Clumsy

À propos de Clumsy

Gauchiste plongé en apnée dans un monde de droite. En deuil de la force intrinsèque des idées vraies. J'aime manger des enfants au petit-déjeuner mais avec un couteau entre les dents, c'est pas si pratique.

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2 avis sur “Des ZAD partout ?

  1. Manny

     » La lutte contre le changement climatique, pour peu qu’elle soit un minimum sérieuse, pose la question de la souveraineté populaire, des biens communs et donc des limites de la propriété privée. Elle induit une reréglementation, remet en question le veau d’or de la croissance. »
    Votre propos est très juste.
    L’insurrection de type ZAD est une voie respectable. En même temps, elle s’attaque aux conséquences de la situation d’oligarchie ploutocratique de nos institutions.
    Et si nous descendions dans la rue massivement pour réclamer le référendum d’initiative citoyenne ? Ouvrir une brèche ainsi dans le pouvoir trop exclusif de nos représentants serait un pas capital pour reprendre en mains progressivement notre destin collectif…
    Qu’en pensez-vous ?
    A votre disposition pour en discuter sur forum.article3.fr

    Répondre
  2. Pingback : Cake please | Babordages

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