Délégitimer l’impôt
Il flotte dans l’air un vieux parfum de naphtaline, de ceux qui entouraient Pierre Poujade endimanché au sortir de la messe.
L’absence quasi totale de réaction quand les propriétaires terriens agriculteurs de la FNSEA incendient un centre d’impôt est un signe qui ne trompe pas.
Avec le « ras le bol fiscal » érigé en ennemi numéro un, le vandalisme sémantique du gouvernement avait précédé celui, bien réel, des chefs d’entreprise agricole.
Tu te souviens, dis, de la « révolution fiscale » de Piketty ? Et de Hollande alors candidat qui lui emboîtait le pas ? Le Bourget était encore devant lui et il promettait :
Pour soutenir la demande, la réduction des inégalités demeure un levier pertinent. Il s’agit d’engager une redistribution en faveur des salariés et des familles au détriment des plus hauts revenus et des fortunes les plus importantes.
Une vraie et grande réforme fiscale ? Certains se mettaient même à rêver à un gouvernement qui réhabiliterait l’impôt, son rôle social indispensable à la cohésion de notre société.
Certes, attaquer l’impôt n’est pas nouveau, même de la part de la droite complexée. Créer des niches fiscales est un sport alambiqué qui se pratique beaucoup dans les hémicycles. Mais, jusque-là, le PS n’accompagnait pas les gestes de paroles.
Depuis le début du quinquennat Hollande, le ton a changé, l’impôt est devenu l’ennemi. Et la petite frappe de Matignon ne rate jamais une occasion d’un coup de canif supplémentaire. Les mesures de réductions d’impôts contraignent les services publics et dégradent leurs prestations. Mais les mots font bien pire, ils attaquent l’édifice social, en dévorent soigneusement les fondations. Car ils s’attaquent à la perception que nous avons du public et du commun, de l’égalité.
Il n’aura pas fallu longtemps pour que le « ras le bol fiscal » fasse son entrée fracassante dans le vocabulaire du gouvernement. Or, les mots façonnent l’imaginaire. Et cet imaginaire-là, anti-impôt, on le connaît trop bien. L’histoire du XXe siècle le place clairement politiquement du côté d’une certaine droite, de Pierre Poujade au bouclier fiscal de Sarkozy, en passant par Gérard Nicoud ou encore Action Française qui appelait à la « grève fiscale » pour protester contre la célébration du bicentenaire de la Révolution Française.
Le hollandisme est finalement bien révolutionnaire, mais dans le schéma inverse de celui que nous présentait Emmanuel Todd, alors encore optimiste et sémillant. Comme le Front Populaire cédant devant l’ampleur d’un mouvement social qui le poussa à capituler, le gouvernement de Hollande a plié en quelques mois… aux coups de menton du patronat.
Je me refuse ici à faire la liste exhaustive ad nauseam des cadeaux fiscaux, renoncements grossiers ou vils arrangements. La voie par laquelle s’est engouffré le patronat a été le vocabulaire. Une fois que le gouvernement a adopté son champ lexical, son discours, il n’a eu d’autre choix que d’appliquer sa politique.
Après les attaques répétées contre l’impôt, il ne faut pas s’étonner que son consentement s’effondre. Que les bonnets rouges détruisent impunément des portiques. Et demain, qui pourra reprocher à certains de faire de l’évasion fiscale ? Un gouvernement qui juge l’impôt insupportable ? Pourquoi le gouvernement ne s’attaque pas aux 60 à 80 milliards qui chaque année s’envolent en Suisse ou vont se faire dorer aux Bahamas ? Sûrement parce qu’il y dans leur classe milieu, un certain nombre d’amis qui pratiquent ce sport en hobby ou même de manière professionnelle. Mais ce n’est pas la raison première. S’il ne touche pas à l’évasion fiscale, c’est avant tout par idéologie. Parce que l’ennemi n’est pas celui qui met en péril la cohésion sociale. L’ennemi c’est avant tout ce qui entrave la liberté d’entreprendre. Et c’est bien à cet endroit-là que se tapit le grand tournant idéologique que ce gouvernement introduit : celui qui crée la richesse n’est plus celui qui travaille, c’est celui qui dirige. Il a beau virer à tour de bras, frauder les cotisations, détruire notre écosystème. La richesse, c’est lui. La croissance, c’est lui. Donc, on lui doit tout. Et il aura tout.
Bienheureuse lucidité ! Triste constat ! Et sombre prévision, qui me semble juste : en effet, l’avenir n’est pas rose, c’est le moins qu’on puisse dire, le rose ayant viré au blanc cassé, teinté de violet.
Bien vu, mais là ça commence à faire beaucoup de ras-le-bol des défiscalisés en douce…
L’IR à l’origine devait servir à réduire les inégalité. Aujourd’hui,les deux principaux impôts sont la TVA et la CSG CRDS (45%) suivis par les impôts sur les revenus,des ménages (9%) et des entreprises (6%). Pour le reste c’est une litianie d’impôts et taxes que nous payons tous (habitation, TIPP, taxe diverses sur les alcools, tabacs, journée de la solidarité, la largeur de nos fenêtres, les poubelles, l’eau…). ce sont donc bien les ménages qui s’en acquittent majoritairement. Et pourtant, tu le dis, les services publics dégradent leurs prestations pour lentement laisser filer des pans entiers d’activité vers le privé (qui ne se prive pas de tarifer ses services) et ainsi se désengager progressivement sans pour autant baisser les impôts. Elle est où la réduction de l’inégalité? En réalité, on nous enferme dans une sorte de syndrome de Stockolm : tout va de plus en plus mal et ce serait de notre faute. Travaillons déjà à s’assurer que les entreprises s’acquittent de leur impôts et assurent des bonnes condition de travail à des salaires décents à leurs salariés et baissons les prélèvements indirects sur les ménages. Après il sera bien temps de faire la chasse aux « vilains propriétaires terriens » agriculteurs, lesquels je sache, n’auraient aucune raison de risquer la prison en brûlant tel centre des impôts, s’ils n’en étaient réduits à ne plus rien faire d’autres que de se laisser crever à la tache pour un salaire de misère à cause de spéculations d’entreprises internationales de l’agro alimentaire, ne payant pas d’impôts sur le sol national.
Enfin, il me semble.