Compétitivité, avec leur sang j’écris ton nom
Cela fait bien longtemps que le néolibéralisme impose ses mots. C’est par eux qu’il colonise sournoisement les esprits, les contaminent de l’antienne de dame TINA, coupant les pieds non seulement aux politiques alternatives, mais bien plus encore à la capacité à les exprimer dans l’espace public et surtout à les penser.
Parmi les mots dont il fait son miel, trône en maître la « compétitivité ». Concept flou et protéiforme, s’adaptant à des individus autant qu’à des entreprises ou à des territoires, il est le nouveau pied de biche du libéralisme. Et le gouvernement l’a épousé tout entier. Pourtant, il hésite encore à nommer ses saloperies avec le lexique du néolibéralisme : privatisation, déréglementation, déflation salariale, ajustements structurels… Il leur préfère des mots creux comme « redressement », « simplification », « réformes ». Il résiste encore un peu, non pas dans les faits, mais dans le langage. Au prix d’une novlangue qui suce le sens des discours. Il semble encore se refuser encore à parler complètement la langue du Medef et de la droite. Mais ce mot-là, la compétitivité, il le chérit entre tous. Jusqu’à l’overdose. La révolution copernicienne n’est pas dans les mesures prises par le gouvernement, qui sont dans la ligne sociale libérale du PS connue depuis des lustres, mais dans l’invasion de la « compétitivité » dans le langage du PS. Depuis quand avez-vous entendu un discours ou une interview sur des questions économiques d’un membre du gouvernement dont ce mot soit absent ?
Notre cher Président avait d’emblée posé l’ambition :
Si le désendettement est le premier étage du redressement, le second, c’est la compétitivité.
François Hollande, 13 novembre 2012
Il est très difficile de trouver une définition de la compétitivité, tant c’est un mot fourre-concept. Parmi les choix possibles, j’ai choisi, au hasard hein, celle de l’Abécédaire des économistes atterrés :
Compétitivité – Abécédaire Atterré (AA+) par Les-economistes-atterres
En substance voilà ce qu’il en est dit : « Il y a une vision du monde où tous les pays sont en concurrence. C’est à qui va être le plus efficace et c’est souvent l’idée : qui va être le moins cher ? (…) Ce concept de compétitivité, c’est un peu un concept multiforme qui contient (…) tout un agenda de réformes libérales telles qu’on les a connues ces 30 dernières années. (…) Tous les concepts de compétitivité comprennent cette idée de concurrence permanente des uns contre les autres ».
Mais il faudrait ajouter, et c’est peut-être le plus important, ce que ce mot dit de l’action politique. En creux, la compétitivité exprime sur celui qui la brandit comme une solution en soi sa vision de l’action politique et son acceptation de l’ordre libéral. Ce mot affirme qu’il est préférable de s’adapter aux structures plutôt que d’adapter les structures. Ce faisant, il donne à voir au mieux une impuissance de la politique face à l’économie, au pire une acceptation totale du cadre néolibéral construit par l’Union Européenne. Il adoube le caractère naturel du libéralisme.
Pour le gouvernement, il permet de mettre en œuvre sans le prononcer le programme économique de la droite : baisse du coût du travail (Pacte de compétitivité) financé par une hausse de la TVA, ajustements par déflation salariale, flexibilisation du droit du travail et remise en cause du CDI (ANI), remise en cause des 35h, etc.
Car le mot compétitivité induit une adaptation constante à l’environnement économique. Car tout le monde ne peut être compétitif. On ne peut l’être que relativement à d’autres. Or, toute adaptation nécessite une variable d’ajustement. La variable d’ajustement, le gouvernement l’a choisie : c’est le salarié.
La loi Macron en est l’illustration parfaite. Présentée par Manuel Valls comme une « loi de liberté et de progrès » (on notera au passage, par mauvais esprit, que le Parti de la Liberté et du Progrès fut le nom du parti libéral belge pendant plusieurs décennies), elle s’inscrit pleinement dans cette adaptation de l’homme à l’économie. Il faut travailler le dimanche parce que les touristes chinois veulent faire leurs achats le dimanche. Un enfant de cinq ans serait capable de détruire cet argument en deux minutes. Mais l’argument de la compétitivité referme le cercle de la raison en induisant une logique unique de raisonnement : nous devons nous adapter aux structures actuelles de l’économie. L’inverse est impossible.
Être de gauche, dirait le professeur Lordon, c’est changer le cadre, sortir du cadre pour le refaire, c’est donc mettre les objectifs sociaux et environnementaux en haut de la pile et faire du cadre la variable d’ajustement. Exactement le contraire de ce que fait notre gouvernement dit « de gauche ».
Cherchez l’erreur.
Dans la video là haut, ça pourrait être Fabu-land (rapport au dessin). Sinon, je dirais qu’il faut arrêter de se laisser malmener par des mots et relire Paul Lafarge; « « à mesure que la machine se perfectionne et abat le travail de l’homme avec une rapidité et une précision sans cesse croissantes l’ouvrier, au lieu de prolonger son repos d’autant, redouble d’ardeur, comme s’il voulait rivaliser avec la machine ».
Ce en quoi, il donne le bâton pour se faire battre. La «religion du travail», que Paul Lafargu récuse s’amplifie et nous asservie telle un mauvais trip. On s’agite gré des marchés financiers sans se rendre compte que notre modèle même de démocratie est en train de trépasser. Le temps, c’est de l’argent. Et l’homme ne vaut plus rien parce qu’il ne se donne plus le temps d’envisager son existence différemment.